Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/266

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trompé. L’erreur ne saurait durer plus longtemps. Il est juste que j’articule des preuves…

Preuves. — La récolte précédente, c’est-à-dire celle de 1800, n’était que passable, mais celle de 1789 avait été assez bonne ; il y avait surplus. Donc, l’année dernière n’a pas été extrêmement pénible. Le prix des blés a même été trop modéré pendant les premiers mois : le blé s’est vendu d’abord 18 fr. le septier. Le prix a augmenté ensuite : il est allé jusqu’à 30 fr. au mois de mai. Il a monté constamment jusqu’au mois d’août. Le blé a valu plus de 40 fr. Ce dernier prix semblait excessif parce qu’on sortait d’éprouver le bienfait de plusieurs années tempérées…. Toutes granges étaient épuisées. Il n’était plus question de blé vieux. Il a fallu dévorer sur le champ le blé nouveau. On a, chose très vraie et heureusement peu commune, recueilli le blé, on l’a battu, on l’a moulu, on l’a cuit, on l’a mangé presque dans la même journée. Qu’est-il arrivé ? Le prix s’est tenu durant la moisson. On a pu s’y méprendre, on a pu croire que les laboureurs, tout entiers occupés de leur récolte, n’avaient pas le loisir d approvisionner les marchés ; on a pu se flatter que ce n’était qu’un mal temporaire. Lorsque les épis ont été par terre, les laboureurs ont compté leurs gerbes et ont été attristés de leur petit nombre. Ils n’ont entrevu qu’un moyen de salut pour eux : ils ont tous, et sans avoir besoin de se communiquer et par un accord tacite, résolu que le prix les indemniserait de la quantité. Il y a longtemps que l’on reproche aux laboureurs d’être avides. Ce n’est pas sans fondement. Mais il ne faut pas pousser ce reproche trop loin. Il est de toute justice que le cultivateur trouve le salaire de ses peines soit dans la quantité, soit dans la valeur de sa récolte… Toute espérance n’était pas éteinte. Les travaux de la moisson avaient occupé les laboureurs. Ceux de la semaille sent venus ensuite. Les premiers blés battus devaient être consacrés à l’ensemencement des terres. On se flattait que lorsque ce dernier ouvrage serait terminé les fermiers ne battraient plus que pour vendre, qu’alors il y aurait à tout le moins une abondance momentanée et que le prix serait moindre ou serait stationnaire. En effet, il est constamment d’usage que les blés de la Saint-Martin sont moins chers qu’en tout autre temps. Les fermiers ont à payer leur redevance, ils ont à s’acquitter des impositions, ils ont à fournir à leurs besoins, il faut prévenir les pénibles charrois de la mauvaise saison. Il en résulte que les marchés sont bien garnis et à un prix tel, que les pères de famille et les spéculateurs choisissent cette époque pour acheter leurs provisions. Or, la Saint Martin est passée, le blé n’abonde pas, sa cherté va toujours croissant. Pourquoi cela ? La raison est assez connue. [C’est que, en battant, les fermiers ont vu que la « rendition » était très faible. Les 100 gerbes n’ont produit et ne produisent que 10, que 8, que 6 bichets. La récolte est trop mauvaise][1].

  1. Nous mettons entre crochets le résumé de développements trop considérables.