Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/274

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à faire valoir ses capitaux, les applique en grande partie à spéculer sur les grains et farines comme étant l’objet d’une consommation plus rapide et plus sûre. » Nous pouvons dès maintenant, et pour en finir avec la question des blés, donner sur la situation de ceux qui les cultivaient quelques renseignements qui nous sont fournis par un mémoire[1] de l’an xii ou de l’an xiii. Un premier valet de ferme, qui gagnait avant la Révolution 120 francs, gagnait alors 300 francs ; le petit valet était passé de 100 à 200 ; la fille de basse-cour, de 60 à 100 ; le maréchal et le charron, de 500 à 800. « Dans l’état de choses, lit-on dans ce mémoire, c’est la classe d’ouvriers de la campagne qui est le moins à plaindre. Elle a son pain et sa boisson, qui font la majeure partie de sa dépense, au même prix qu’avant la Révolution, et sa journée, qui n’était alors que de 15 à 20 sous, est aujourd’hui de 30… » Cette progression dans les salaires se retrouve aussi dans le monde ouvrier des villes, mais ce serait un travail immense que de rechercher toutes les variations qui eurent lieu à ce sujet, non seulement aux divers moments de l’histoire qui nous occupe, mais encore dans les différentes régions et dans toutes sortes de métiers. M. Levasseur a dressé, dans son ouvrage, des tableaux de salaires comparés, en tenant compte de renseignements partiels recueillis aux Archives et nous ne pouvons, pour l’instant, que renvoyer à lui et aussi au premier volume de la publication de l’Office du Travail, intitulée : Les associations professionnelles ouvrières. Dans un temps aussi agité que le Consulat et l’Empire, à une époque où des guerres continuelles, des mesures douanières incessantes venaient modifier toutes les lois économiques, les arrêter dans leur développement ou, au contraire, le hâter, on comprend combien a pu être variable le taux des salaires et aussi la somme de travail fournie dans la nation. La situation créée au monde commerçant et industriel par les guerres commence déjà, dans notre période, à ne pas être acceptée sans murmures et puisque, dans cette partie de notre travail nous laissons volontairement de côté tout ce qui a pu déjà être publié pour nous attacher à des documents que nous croyons utile de mettre au jour, nous nous placerons à cette année 1806, qui vit des succès militaires considérables, et nous montrerons comment le commerce français accueillait l’annonce des nouvelles campagnes. Notons d’abord que l’année 1805 s’était achevée dans des débâcles financières inquiétantes : les billets de banque dépréciés avaient en octobre perdu plus de 8 % de leur valeur ; on s’était battu, à la Banque, pour se faire rembourser ; les faillites s’étaient multipliées à la suite de l’effondrement du banquier ; Récamier. Dans le Nord, la situation était mauvaise. Le préfet de Lille écrit, le 23 brumaire an xiv, qu’il a des inquiétudes[2] : « Les fabricants congédient un grand nombre de leurs ouvriers. On en compte actuellement plus de 800 sans travail. La cherté des blés est excessive. On remarque des réunions où quel-

  1. Archives Nationales, F11 292.
  2. Archives Nationales, F7 3709.