Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/275

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ques signes d’anarchie commencent à paraître. On dit qu’on ira prendre du pain où il y en aura, qu’on saura enfin trouver de l’argent. » Une certaine détente parut se produire après les succès de la campagne d’Autriche, puis, dès juillet 1806, la situation redevient mauvaise, à Bordeaux, à Lyon, à Marseille, il n’y a plus assez de travail, le chômage s’étend. Tantôt, quand on annonce la paix, les patrons embauchent des ouvriers puis, comme le lendemain on annonce la guerre, ils congédient. Voyez ce qui se passe à Lyon : en juin 1806, on compte dix-huit grosses faillites ; en juillet, le commerce reprend avec activité dans les ateliers d’étoffes de soie, broderie, tirage d’or et d’argent, chapellerie ; dans les premiers jours d’août, les commandes baissent ; à la fin du même mois, comme on parle de paix, le prix de la soie augmente d’un quart, les fabricants engagent et emploient un grand nombre d’ouvriers ; en octobre, tout paraît bien marcher, en novembre, tout est perdu[1] ! À Marseille et à Bordeaux, c’est dès octobre que la situation est déplorable. « À Marseille, dit un rapport[2], le commerce est nul. Les ouvriers sont inquiets et sans ressources. Les propriétaires désirent qu’on établisse des ateliers pour les occuper et les alimenter pendant l’hiver. Les vols deviennent plus fréquents et les moyens de répression manquent. Depuis que la garde municipale a été licenciée, le commissaire général de police n’a que trois hommes à sa disposition. Il sollicite une garde particulière de 20 hommes. À Bordeaux, même stagnation dans le commerce. Mêmes réflexions sur les ouvriers et sur la nécessité d’ateliers publics où on puisse les occuper. L’agitation est plus vive qu’à Marseille. Des placards ont paru dans le mois d’août par lesquels on demandait du pain, la paix ou la guerre civile. Les suicides y sont aussi plus fréquents… » Et arrivons maintenant à l’exposé du langage tenu à l’empereur par les représentants du commerce des grandes villes au moment où va s’ouvrir la campagne contre la Prusse ; le langage est absolument remarquable et mérite d’être retenu. Le 13 novembre 1806, la chambre de commerce de Lyon écrit[3] : « Sire, dans un moment où, prêt à dicter la paix à vos ennemis, Votre Majesté va décider le sort de l’Allemagne, la chambre de commerce d’une ville que vos bienfaits consolent de ses malheurs croit prévenir vos désirs en mettant sous vos yeux le tableau des relations de commerce de la ville de Leipzig avec Lyon et plusieurs autres villes de votre Empire ; elles sont très importantes et tellement appropriées aux besoins de divers peuples que quinze ans d’une guerre générale et opiniâtre, qui a paralysé et appauvri le commerce, n’ont pu encore interrompre et n’ont que modérément diminué les exportations de la France pour Leipzig ; c’est la seule branche qui, pendant cette période de temps, ait soutenu le commerce de Lyon.

  1. Archives Nationales, F7 3710, F7 3711.
  2. Archives Nationales, F7 3711, 4 octobre 1806.
  3. AFiv, 1060.