Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/280

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qu’ils se payent et qu’avec les remises qui les soldent, arrivent les commissions qui occupent nos ouvriers pour l’hiver. Neuf courriers de Russie sont en arrière jusqu’à cette heure. Sont-ils retenus par l’armée française ? Sont-ils retenus par les Russes ? Nous l’ignorons, mais le mal est le même : nous ne recevons ni remises, ni commissions. Cependant notre place a des engagements majeurs qu’elle ne peut remplir qu’avec le retour de ses avances. Et l’ouvrier, à qui le travail de chaque jour apporte la subsistance du lendemain, n’a plus d’autre perspective qu’une affreuse misère. C’est ici le lieu de soumettre à Votre Majesté plusieurs observations d’une grande importance dans les circonstances présentes, sur la nature de nos relations commerciales avec la Russie. Elle a déjà dû juger, par la somme à laquelle nous évaluons nos exportations pour ce pays, de quel intérêt ces relations sont pour nous. Quoique la Russie nous fournisse en échange des chanvres, des bois de construction, du cuivre, du goudron, etc., la balance est de beaucoup en faveur de la France, et se solde par du numéraire. Les remises ne sont point directes ; les Russes profitent peu du change ouvert entre Pétersbourg et Paris. Ils payent les villes manufacturières de France par des remboursements qu’ils assignent sur Londres, avec lequel nous avons peu d’autres intérêts, sur Amsterdam et, plus essentiellement, sur Hambourg, devenue la place intermédiaire la plus importante entre le nord et le midi de l’Europe ; car non seulement les payements de la Russie, mais ceux du Danemark et de la Suède se faisaient dans cette ville.

« En ce moment, les communications de Hambourg avec la Russie sont interceptées comme les nôtres ; ainsi, les traites que nos négociants avaient faites sur Hambourg depuis trois mois pour compte russe sont à échéance et ne sont point payées parce que les fonds qui devaient y faire face ne peuvent pas arriver de Russie. Déjà cinq maisons de Hambourg ont suspendu leurs paiements et peut-être un plus grand nombre encore au moment où nous écrivons. Les remboursements indiqués seulement depuis peu de temps ne sont pas acceptés et le remboursement de ceux qui pourraient avoir été assignés sur Londres est impossible puisque toute communication avec l’Angleterre est interdite. Les malheurs de la place de Hambourg, dont l’existence et le crédit se trouvent si essentiellement liés à nos plus chers intérêts sont encore augmentés par l’intimité des relations qui existaient entre cette ville et l’Angleterre. Il était temps, sans doute, d’enlever à cette odieuse ennemie l’influence dont elle a fait un si cruel usage. Votre Majesté a voulu la séparer du continent ; elle ne l’a pu qu’en brisant la chaîne qui unit toutes les nations commerçantes. Elle a gémi des maux que cet acte de sa puissance nécessaire, mais terrible, allait produire. Puissent-ils retomber tous un jour sur ceux dont les insolentes provocations l’ont arraché à sa longue patience. Nous ne voulons pas abuser, Sire, des bontés de Votre Majesté en aggravant inutilement le tableau déjà si affligeant de nos misères. Lorsque nous consi-