Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/281

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dérons cependant quelle étroite amitié paraît attacher la Russie à l’Angleterre, nous ne pouvons nous défendre de craindre qu’elle n’exerce des représailles au profit de son alliée. Si les propriétés françaises étaient saisies en Russie, nos malheurs seraient à leur comble et nous n’osons pas en envisager l’étendue.

« Il est dû au Piémont des sommes considérables en Angleterre pour les soies qu’il y envoie. Ne deviendront-elles pas la proie de nos ennemis ? Nous tremblons encore que les Anglais n’interdisent aux neutres l’entrée de ceux de nos ports qui étaient restés libres jusqu’à ce jour. À Anvers, à Nantes, à Bordeaux, à Marseille, à Livourne, les Américains apportent les cotons dont s’alimentent nos manufactures de toile de coton qui organisent une guerre d’industrie avec l’Angleterre. Ces neutres nous pourvoient aussi de denrées coloniales et de drogues de teinture indispensables à nos fabriques. Ils chargent en retour des vins, des eaux-de-vie et des objets manufacturés. Les soieries de Lyon ou de Nîmes, les dentelles de Caen, les batistes de Valenciennes, la quincaillerie et la bijouterie de Paris commencent à avoir un grand succès aux États-Unis. Notre fabrique ne se soutient depuis quelques mois que par ces exportations ; les maisons françaises sont souvent, par suite de ces relations, en avance avec les maisons américaines et si les bâtiments qui apportent des retours ne peuvent plus arriver, si les marchandises de France qu’ils porteront sont saisis par les Anglais, lors même qu’elles seront propriété neutre, cette branche de notre commerce sera à son tour entraînée dans une ruine complète.

« Nous demandons pardon, Sire, à Votre Majesté de l’importance de ces pénibles détails, mais son administration toute paternelle nous a accoutumés à ne la trouver étrangère à aucun de nos besoins et, si elle nous a inspiré pour sa personne chérie le dévouement d’enfants soumis et respectueux, elle nous a aussi donné la confiance. Nous nous hâtons donc de lui indiquer ce que nous osons espérer. Les embarras de notre position actuelle réclament deux genres de secours également pressants : la liberté des communications commerciales avec la Russie et du travail pendant l’hiver. Les relations avec la Russie n’ont jamais été interrompues pendant les guerres précédentes ; si elles n’ont pas été toujours directes, elles existaient au moins par l’intermédiaire de Hambourg, Lübeck et des autres places d’Allemagne ; les marchandises françaises traversaient librement les armées ennemies lorsqu’on constatait, ce qui était très facile, que les caisses ne contenaient aucun effet de guerre. La Russie paraissait disposée à en favoriser l’introduction sur son territoire parce que les douanes sont un de ses principaux revenus et que les importations de France s’élevant, comme nous l’avons dit, de 80 à 90 millions sont pour elle d’un grand produit. Nous pensons donc que le même intérêt devrait lui inspirer aujourd’hui la même conduite et Votre Majesté venant de proclamer le principe dont elle ne s’écarte que vis-