Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/298

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fruit du travail de ses colonies, que le transport en soit un des éléments de son commerce et de sa navigation, et qu’elles soient achetées avec l’argent envoyé d’Angleterre par une compagnie puissante qu’elle a créée, qu’elle protège et dont elle tire de grandes ressources. » Le 18 vendémiaire an XIV, les manufacturiers du Rhône envoient une adresse[1] à l’empereur et nous pouvons l’analyser comme suit. On importe en France 12 à 1 400 mille pièces de coton de 14 ou 16 aunes par an. Les 2/3 viennent des ventes annuelles (janvier-juillet) de la compagnie anglaise. Chaque vente expose 6 à 700 000 pièces. Celle de juillet dernier a été de près d’un million, d’où excès sur la consommation, baisse de 20 à 25 % et 1/4 invendu. Résultat : rupture de l’équilibre entre les produits nationaux et les tissus étrangers, même malgré les droits augmentés. Le coton en laine à Paris coûte 3 francs la livre. La filature et le tissage coûtent au minimum 4 francs, ce qui met la livre, à Paris, à 7 francs. « La même livre prise à Londres nous coûte 10 sous. En effet, la pièce de toile dite de Salempouris, sur 14 aunes, soit 6 livres, coûte 9 à 10 shillings (11 à 12 francs), avec les frais de voiture jusqu’à Paris et le nouveau droit (ensemble 12 francs par pièce), la pièce nous revient à 24 francs, c’est-à-dire que le coton que nous payons 3 francs en laine nous coûte tissu 4 francs, fourni par le commerce anglais. 14 000 pièces de toile de 10 à 16 aunes viennent d’arriver de l’Inde en Angleterre (les droits pour ce convoi ont rapporté 6 millions sterlings à l’Angleterre), il reste de la dernière vente 200 000 pièces, dont le marché de janvier sera de 1 600 000 pièces. Il en résultera une baisse considérable et « en mars prochain, la livre de coton tissu ne coûtera pas aux Parisiens plus que la livre de coton en laine. » Conclusion : les fabriques seront ruinées, 200 000 ouvriers se trouveront sans travail, s’il n’y a pas prohibition absolue.

Cette adresse est accompagnée d’une lettre[2] dont l’auteur certifie l’exactitude des calculs avancés et ajoute que « la marchandise à Londres vient encore de baisser de 15 %, soit par l’effet du décret, soit par l’arrivée de leur convoi fameux et que l’on annonce pour la vente prochaine une surbaisse considérable. » Le signataire poursuit un examen très sérieux de la situation et nous donne des détails qui méritent d’être retenus : « Depuis la visite que j’ai eu l’honneur de vous faire, écrit-il, j’ai parcouru les fabriques de Belgique, Picardie et Normandie. Je ne puis vous donner une idée de leur détresse. La cotonnade de Rouen baisse journellement, soit par le peu de débouchés, soit par la baisse des toiles de coton étrangères, et le coton en laine augmente chaque marché ; si on pouvait fabriquer des toiles de coton, alors les ouvriers se diviseraient les genres d’industrie et ils pourraient vivre, mais que faire contre des tissus à 4 francs la livre, alors que le coton en laine vaut 3 francs à 3 fr. 10 ? Ce que l’on peut ajouter, c’est que, si la pénurie d’argent se fait

  1. Archives nationales, F12 533.
  2. Archives nationales, id. loc. lettre de Rubichon, négociant à Lyon, 20 vendémiaire an XIV.