Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/385

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adressée aux évêques français, cette suppression soudaine du pouvoir temporel.

« Notre Seigneur Jésus-Christ, quoique issu du sang de David, ne voulut aucun règne temporel. Il voulut, au contraire, qu’on obéît à César dans le règlement des affaires de la terre. Il ne fut animé que du grand objet de la rédemption et du salut des âmes. Héritier du pouvoir de César, nous sommes résolu à maintenir l’indépendance de notre trône et l’intégrité de nos droits. » Le ton puéril de ce plaidoyer montre assez que Napoléon était peu rassuré sur les conséquences de son coup de main.

Il tenta même de tenir secrets l’enlèvement de Pie VII et la bulle d’excommunication dont il avait été l’objet.

Mais les journaux avaient beau être réduits au silence, la bulle fut colportée en France par les membres d’une congrégation laïque fondée en 1801 par un ancien jésuite, l’abbé Delpecito, et qui s’était recrutée parmi la jeunesse royaliste des écoles.

Un indult pontifical de juillet 1803, dit Debidour, l’avait autorisée à s’affilier les sociétés analogues qui pourraient naître à Paris ou en province, et déjà s’étaient constituées à Lyon, Grenoble, Bordeaux, Langres, Toulouse, Nantes et Rennes des groupes nouveaux qui se rattachaient à la congrégation de Paris. Après l’arrestation du pape, les exercices de charité et de piété ne furent pas naturellement l’unique préoccupation des congréganistes. Ils s’attachèrent, avec une ardeur qu’avivaient encore leurs vieilles convictions légitimistes, à servir la cause du pape persécuté. C’est par leurs soins que la bulle du 10 juin, secrètement apportée à Lyon, fut répandue en France fort peu de temps après les événements de Rome. Les « prédicateurs errants », c’est-à-dire les missionnaires auxquels l’Empire avait jusqu’alors laissé une certaine liberté contribuaient aussi à la faire connaître.

On chuchota bientôt partout que le fils aîné de l’Église était excommunié. Dans les parties de l’Empire où le clergé avait le plus d’influence ou d’audace, comme en Belgique, en Bretagne, certains curés, sans oser s’élever en chaire contre le souverain réprouvé, supprimaient de fait, aux offices du dimanche, les prières publiques prescrites par l’empereur.

Napoléon comprit alors qu’il fallait frapper, et sans retard, les congrégations et les missionnaires. De Schœnbrunn, il écrivit en ces termes à son ministre des cultes Bigot de Préameneu : « Je ne veux plus de missions en France : je n’entends pas que des missionnaires fassent profession de prédicateurs errants, parcourent l’Empire. Je donne des ordres dans ce sens au ministre de la police. »

Sur ce, on arrêta quelques membres de la congrégation qui fit semblant de se dissoudre, et les lazaristes durent se disperser.

Mais, le reste des communautés religieuses n’en continuant pas moins à mener l’agitation antinapoléonienne, l’empereur résolut d’en finir.