Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/386

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Ici, laissons la parole à M. Flourens, qui, dans la Nouvelle Revue, en 1894 écrivit des pages bien curieuses sur « Napoléon et les jésuites ».

« Napoléon, dit M. Flourens, conçut alors une idée digne à elle seule, si elle était jamais réalisée, de le faire passer pour le plus grand organisateur des temps modernes. Il s’était fait expliquer, par son conseil ecclésiastique, les difficultés des ordres religieux. On lui avait exposé que les moines avaient pour but d’atteindre le plus haut degré de perfection et qu’ils estimaient ne pouvoir réaliser cet idéal qu’à l’aide de la vie en commun dans l’enceinte d’une même clôture ; il s’était dit : « Je n’ai aucun intérêt à les contrarier dans la recherche d’un but aussi inoffensif, pourvu que j’aie la certitude qu’ils n’en poursuivent pas d’autre plus dangereux. J’ai, au contraire, tout intérêt à les enfermer dans une même enceinte, du moment que c’est moi qui aurai les clefs de cette enceinte. »

« Une tentative d’exécution suit de près la résolution. Des décrets de 1810 ordonnèrent la suppression de toutes les corporations religieuses dans tout l’Empire, même en Italie. Cette fois, les congréganistes ne sont plus dispersés, mais centralisés sous la surveillance de l’autorité militaire. Les routes des États pontificaux et des départements annexés à l’Empire sont couvertes de longues files de moines escortées par des escouades de cavalerie. En même temps, les chefs d’ordres religieux sont amenés en France avec les archives de la maison mère et les ornements des chapelles.

« Simultanément, Napoléon saisit le Conseil d’État d’un vaste projet. Il veut fonder deux grands couvents : l’un dans l’intérieur de la France, l’autre au delà des Alpes. Là, tous les différents ordres monastiques, jésuites, capucins, dominicains, bénédictins, barnabites, etc., etc., vivront unis et confondu.

« Désormais, on ne pourra plus reprocher au gouvernement impérial de contrarier les vocations religieuses. Tous ceux qui veulent s’éloigner du siècle et vivre dans la retraite seront libres de se cloîtrer. Les avenues des deux établissements étant convenablement surveillées par la gendarmerie, rien ne viendra plus troubler leur repos, et les bruits du monde, les agitations de la politique ne seront plus un obstacle à la perfection idéale.

« Dans la pensée de Napoléon, le père Varin, dont l’influence devenait de plus en plus menaçante, devait être le supérieur d’un de ces couvents.

« Le père Varin résista successivement à cette nouvelle fantaisie du maître, et le Conseil d’État lui-même ne lui vint pas en aide. Le projet échoua misérablement et Napoléon en revint à combattre ces Pères de la Foi qui ameutaient sourdement l’Europe et la France contre lui. Il avait beau écrire à son ministre de la police : « Je vous l’ai dit autrefois, je vous le répète pour la dernière fois, prenez des mesures telles que cette congrégation soit dissoute. » Les gendarmes eux-mêmes ne bougeaient plus ; ils sen-