Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/429

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les loisirs que lui laisse sa situation de secrétaire à l’achèvement d’un Catéchisme du soldat allemand, qui est en quelque sorte un manuel d’énergie belliqueuse et une exhortation rude au culte de la patrie et de la gloire des armes. Mais le rôle de Moritz Arndt ne devient véritablement prépondérant qu’au moment où Frédéric-Guillaume, enfin résolu à secouer le joug français, lance son fameux Appel au peuple qui devait être le point de départ d’une mobilisation générale immédiate. Pour réveiller la passion, pour enflammer les cœurs et les rendre plus insatiables dans la victoire et le triomphe, Arndt compose des odes, des chansons : brûlantes de patriotisme, toutes remplies de l’espérance des victoires prochaines, et que redisent bientôt ceux qui s’enrôlent en masse pour se grouper sous les aigles royales. Les plus timides, entraînés par ces refrains vibrants de frénésie, se rangent parmi les plus impétueux, et le nom d’Arndt est sur toutes les lèvres. Cependant, ces improvisations lyriques, ces chants héroïques, ces résolutions exprimées avec une si fière ardeur n’ont que d’assez médiocres mérites littéraires ; elles ne puisent point leur éclat au sein d’idées profondes ou dans les ressources d’une langue imagée, mais leur sincérité et leur pathétique ferveur sont incomparables et légitiment encore à nos yeux l’émotion si profondément vraie qu’elles faisaient naître dans tous les cœurs.

Dans son Histoire de la Littérature allemande, Heinrich, fort judicieusement, dépeint la nature et la qualité de l’inspiration des littérateurs que l’exceptionnelle gravité de la situation mêle à la vie publique et s’exprime sur celui que familièrement on appelait le père Arndt, dans les termes suivants qui serviront de conclusion aux lignes que nous lui avons consacrées :

« Les œuvres de Moritz Arndt n’ont qu’un seul mérite : la force ; qu’un seul attrait : l’amour sincère de son pays. C’est un esprit de second ordre, loyal, tenace, assez borné, une barre de fer qui frappe amis et ennemis, sans le moindre souci des blessures qu’elle peut faire, pourvu que le coup ait été asséné par devant et porté en ligne droite. »

L’ascendant que ces œuvres rudes, saines et orgueilleuses exerçaient directement sur les âmes contemporaines fut la condition même de la popularité d’Arndt. Pour ce qui est des mérites littéraires de ce poète patriote, il vaut mieux s’abstenir : on les chercherait vainement dans les œuvres grandiloquentes de l’auteur des Chants de guerre, alors que plusieurs autres écrivains contemporains, violemment mêlés à l’agitation politique de l’Allemagne et moins favorisés par la renommée, sollicitent l’attention et l’estime des lettrés par l’énergique noblesse de leurs inspirations, par des dons souvent remarquables et par l’expression d’un sentiment poétique dont l’ampleur, la gravité sincère et l’émotion rappellent parfois celles des plus grands esprits.

Parmi ceux-ci, Collin se distingue par son enthousiasme tour à tour guerrier et religieux qui n’est point sans analogie avec l’inspiration belliqueuse et mystique où s’abandonnaient souvent maints chanteurs héroïques