Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/430

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de l’Allemagne médiévale. Max de Schenkendorf qui ne survécut que peu d’années aux triomphes qui marquèrent la libération définitive des territoires germaniques, l’emportait sur le précédent par la profondeur de ses pensées et par la vérité robuste des sentiments qui les nourrissent, tandis que Rückert, qui ne cache point une prédilection fréquente pour des effets oratoires, inattendus et terrifiants à la manière des métaphores ou des images apocalyptiques, exhalait son ressentiment contre ceux de ses compatriotes qui n’aspiraient point à la liberté et subissaient sans révolte le joug de l’étranger.

« Et toi, s’écrie quelque part Ruckert, qu’écris-tu donc, poète ? En lettres de flamme je retrace ma honte et celle de mon peuple qui ne veut pas songer à la liberté. »

Entre tous ces tempéraments exaltés, bouillonnants, rongés du désir d’entraîner les masses et les individus dans la lutte suprême, fiers, et convaincus, souvent, de la gravité et de l’héroïsme du rôle qu’ils ont assumé devant le siècle et l’histoire, l’âme la plus parfaite, la plus fougueuse et la plus chevaleresque en même temps que la plus sensible et la plus éclairée, est assurément celle de Kœrner. Disciple de Schiller, Kœrner garda longtemps l’empreinte du maître qui avait ému et fortifié sa jeune intelligence ; des historiens ont même constaté entre l’auteur des Brigands et le héros intellectuel du soulèvement national de profondes similitudes de caractère. Kœrner, dont le cœur nourrissait une passion perpétuelle, participa en qualité d’officier à la campagne de 1813. Ce fut au cours de ces luttes que les émotions éprouvées et les sentiments altiers de la grandeur nationale lui procurèrent ses inspirations les plus fortes et les plus colorées. Les soirs, au bivouac, à la lueur vivace des feux nocturnes, après une longue journée vécue dans le tumulte, l’ivresse et la frénétique fureur de la bataille, Kœrner improvisait ou composait ces chants célèbres puissants et simples, qui versaient dans le cœur de ses compagnons harassés le précieux réconfort d’une inlassable espérance. C’est au long de ces dramatiques veillées au sein même de la nation en armes, que Kœrner composa ce recueil fameux : La Lyre et l’Épée, qu’une seule pièce universellement répandue : Le Chant de l’Épée, suffit à immortaliser.

La digression que nous a paru nécessiter l’exposé de la situation politique intérieure de la Prusse, avant 1813, et de divers mouvements intellectuels, particuliers ou collectifs qui furent l’origine de sa régénération héroïque, cette digression, disons-nous, ne saurait s’étendre plus loin, et sa longueur même nous contraint de revenir plus rapidement à l’historique des événements politiques que nous avions à peu près arrêté à la défection du général d’York de Wartenburg et aux mesures prises par Frédéric-Guillaume pour apaiser le ressentiment conçu à ce sujet par le despote français.

Nous avions, à ce propos, signalé la vanité des édits de rigueur pris par le roi de Prusse contre le commandant en rébellion, qui sans souci du châti-