Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/437

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fort habilement réparties sur des positions inexpugnables, soit qu’elles fussent cantonnées dans des espaces entourés de marais, soit qu’elles fussent adossées à des pentes escarpées. Près de 150 000 Français allaient se mesurer avec un nombre supérieur d’alliés.

À midi, le 20 mai, Napoléon donne l’ordre à Oudinot d’attirer l’attention de plusieurs corps russes, tandis que Macdonald et Marmont attaquent vigoureusement l’ennemi sur toute la ligne de la Sprée. La journée se termine par un succès pour nos troupes, qui s’emparent d’un certain nombre de positions primitivement occupées par les Prussiens et les Russes. Pendant la nuit, sur l’ordre de l’empereur, Ney opère avec ses troupes un mouvement tournant qui doit avoir pour effet de permettre, dès l’aube, une attaque par surprise contre l’ennemi. Dans l’instant où Ney engage vivement ses troupes. Marmont, Oudinot, Macdonald et Bertrand entrent en ligne ; une lutte furieuse bouleverse de part et d’autre les ordres de combat : plusieurs fois des cohues de Français ou d’alliés qui s’étaient emparés de certaines positions en sont à nouveau délogées. Enfin, la frénésie et l’inlassable ardeur de nos troupes l’emportent une fois de plus ; les champs jusque-là disputés avec tant d’apreté nous restent acquis, et la retraite des Prussiens et des Russes commence. Mais là encore, il ne s’agit point d’une débandade confuse, mais d’une marche rétrograde habilement conduite, qui va contraindre nos troupes à d’autres efforts et à de nouvelles poursuites souvent infructueuses et fertiles en surprises. Il était environ trois heures de l’après-midi lorsque le combat prit fin ; la journée avait été particulièrement meurtrière, 30 000 hommes étaient morts ou blessés, tant alliés que Français, et si Napoléon n’hésitait point à vanter la valeur et l’héroïsme déployés par nos troupes dans cette nouvelle victoire, il envisageait nettement les difficultés chaque jour plus graves et les périls que suscitaient ces reculs incessants d’un ennemi qui se dérobait prudemment et se gardait de prendre une offensive qu’il savait lui devoir être funeste le plus souvent.

Ce fut dans l’un des engagements rapides qui suivirent la retraite des alliés, le 22 mai, à Reichenbach, que périrent Kirchener et Duroc. La disparition de ce dernier, qui avait été l’un des plus fidèles et des plus constants familiers de Napoléon, causa à l’empereur un vif chagrin.

Mais ses afflictions n’étaient guère de nature à distraire longtemps Napoléon des fins qu’il poursuivait avec une énergie dont la tension perpétuelle, cause de tant de triomphes, allait provoquer tant de calamités nouvelles. Pour l’instant, il fallait poursuivre l’ennemi, rendre la victoire de Bautzen plus significative en infligeant aux alliés des défaites successives. Napoléon s’avança jusqu’à l’Oder, fit réoccuper plusieurs places fortes, reprit la presque totalité de la Silésie, et rétablit l’influence française. Alexandre et Frédéric-Guillaume, en présence des succès rapides de l’empereur, modifièrent leurs intentions primitives et firent connaître qu’ils se prêteraient volontiers à des