Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonapartiste s’efforcent encore de faire croire que la tradition napoléonienne est conforme à l’esprit de la grande Révolution.

Mais cette longue digression nous a bien éloignés de la Cour de Fontainebleau où les courtisans ne respiraient guère que lorsque le maître en disparaissait pour un voyage ou pour une nouvelle campagne.

En novembre 1807, Napoléon se mit en route pour une rapide tournée en Italie, se faisant acclamer à Milan, réglementant en quelques jours l’administration vénitienne, se heurtant à Mantoue contre l’inébranlable volonté de son frère Lucien qui refuse le trône de Portugal, puis revenant à Milan pour y signer le fameux décret du blocus continental que nous avons étudié plus haut.

De retour en France, le 1er janvier 1808, l’empereur s’installe aux Tuileries, très préoccupé des affaires d’Espagne qui l’obligent bientôt (avril 1808) à partir pour Bayonne où vont s’accomplir les événements que l’on sait, et d’où il ne rentre qu’au mois d’août en passant par Rochefort, La Rochelle, Niort, Nantes, Angers, Tours et Orléans, partout accueilli avec d’officielles acclamations.

Nous disons officielles, car les masses populaires restèrent silencieuses, et déjà à cette époque il semblait y avoir dans l’opinion publique une grande lassitude et une inquiétude croissante. On la peut surprendre dans les manœuvres de bourse où les boursiers exploitent cet état d’esprit en faisant descendre la rente à 70 francs, alors qu’elle était montée — nous l’avons vu — à 92 francs, au lendemain de Tilsitt.

Napoléon, furieux de cette manifestation financière, essaya d’arrêter cette dégringolade des rentes par des achats réalisés sur les fonds du Trésor de l’armée : il y réussit en partie et releva les cours à 80 francs. Mais le symptôme n’en est pas moins intéressant à retenir et l’on peut voir dans cette attitude des boursiers un indice de la transformation de l’opinion publique à l’égard de l’empereur.

Nous savons que celui-ci quitta de nouveau Paris au mois de septembre pour l’entrevue d’Erfurt, et que, rentré à Saint-Cloud le 18 octobre, il en repartit de nouveau, moins de quinze jours après, pour prendre la direction des affaires d’Espagne.

Mais avant son départ, il reçut du Corps législatif un avertissement bien timide, mais caractéristique et qui contraste assez heureusement avec la platitude irrémédiable du Sénat :

« La volonté du peuple français, disait cette assemblée de valets, est la même que celle de Votre Majesté. La guerre d’Espagne est politique, elle est juste, elle est nécessaire. »

Le Corps législatif, au contraire, fait entendre à mots couverts, il est vrai, mais pourtant assez clairs, cet avis : « Déjà vous abandonnez la France qui, depuis tant d’années vous a eu si peu de jours ; vous partez et je ne