Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/466

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sais quelles craintes, composées par l’amour et tempérées par l’espérance a troublé toutes les âmes. »

Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont dites ! Elles sont dites pourtant et il est manifeste que Napoléon en garda quelque rancune. L’occasion ne se fit pas attendre d’une réplique insolente. Elle se produisit à l’occasion d’une réception aux Tuileries de la députation conduite par le président Fontanes.

Cette députation était venue apporter les remerciements de l’Assemblée législative à l’occasion de l’envoi d’une douzaine de drapeaux pris à Burgos et l’impératrice Joséphine, en l’absence de son impérial époux, se crut autorisée à haranguer les visiteurs : « Monsieur le président, dit-elle, je suis infiniment sensible à la démarche du Corps législatif et très satisfaite que le premier sentiment que Sa Majesté ait éprouvé après sa victoire ait été pour le Corps qui représente la Nation. »

« Le Corps qui représente la Nation ! » Cette malheureuse fin de phrase eut le don d’exaspérer l’empereur, qui s’empressa d’envoyer de Madrid une note fameuse, une rectification brutale et insultante.

« Plusieurs de nos journaux ont imprimé que Sa Majesté l’impératrice, dans sa réponse à la députation du Corps législatif avait dit qu’elle était bien aise de voir que le premier sentiment de l’empereur avait été pour le Corps législatif qui représente la Nation.

« Sa Majesté l’impératrice n’a pas dit cela ; elle connaît trop bien nos constitutions ; elle sait trop bien que le premier représentant de la Nation, c’est l’empereur, car tout pouvoir vient de Dieu et de la nation.

« Dans l’ordre de nos constitutions, après l’empereur est le Sénat ; après le Sénat est le Conseil d’État ; après le Conseil d’État est le Corps législatif ; après le Corps législatif viennent chaque tribunal et fonctionnaire public dans l’ordre de ses attributions. Car s’il y avait dans nos constitutions un corps représentant la Nation, ce corps serait souverain, les autres corps ne seraient rien et sa volonté serait tout.

« La Convention, même le Corps législatif, ont été représentants. Telles étaient nos constitutions alors ; aussi le président disputa-t-il le fauteuil au roi, se fondant sur ce principe que le président de l’Assemblée de la Nation était avant les autorités de la Nation. Nos malheurs sont venus en partie de cette exagération d’idée. Ce serait une prétention chimérique et même criminelle que de vouloir représenter la Nation avant l’empereur. Le Corps législatif, improprement appelé de ce nom, devrait être appelé Conseil législatif, puisqu’il n’a pas la faculté de faire des lois, n’en ayant pas la préparation. Le Conseil législatif est donc la réunion des mandataires des collèges électoraux.

Dans l’ordre de notre hiérarchie constitutionnelle, le premier représentant de la Nation est l’empereur et ses ministres agents de ses décisions ; la