Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/480

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Mais ce n’était pas seulement le contenu des journaux qui horripilait Napoléon : leur titre même suffisait à lui porter ombrage ; aussi le Citoyen dut-il, en 1805, prendre le titre de Courrier français ; le Journal des Débats dut s’appeler le Journal de l’Empire.

L’asservissement ne lui paraissant pas assez complet, une idée nouvelle se manifeste dans une lettre adressée le 6 mars à Talleyrand :

« Mon intention, écrit-il, est que les articles politiques du Moniteur soient faits par les Relations extérieures. Et quand j’aurai vu, pendant un mois, comment ils sont faits, je défendrai aux autres journaux de parler politique autrement qu’en copiant les articles du Moniteur. »

On ne s’arrêta point dans la voie de l’arbitraire : à mesure que la popularité de l’empereur allait décroissante, que ses fautes se multipliaient, que sa fortune chancelait, Napoléon éprouvait davantage encore le besoin de mettre des entraves à l’expression de l’opinion, si modérée fût-elle. Au mois d’août 1810, il avait décidé que, dans les départements autres que celui de la Seine, il n’y aurait qu’un seul journal, et quel journal ! une feuille publique rédigée sous l’œil de la préfecture.

Au commencement de 1811, il avait divisé la propriété du Journal de l’Empire (ancien Journal des Débats) en vingt-quatre actions, dont huit furent attribuées à la police pour salarier certains écrivains de bonne composition ; il se réserva les seize autres parts pour en gratifier ses créatures.

La mesure prise à l’égard du Journal de l’Empire ayant paru bonne et fructueuse, l’empereur réunit, en septembre de la même année, sous le nom de Journal de Paris, le Courrier de l’Europe, le Journal du Soir, le Journal du Commerce, la Feuille Économique et le Journal des Curés. Il divisa également ce journal en vingt-quatre actions auxquelles il assigna la même destination. Quelques jours après il autorisa la publication de treize feuilles scientifiques, mais en leur interdisant formellement la moindre exclusion dans le domaine de la politique. Enfin, le 26 septembre, il rendit un décret aux termes duquel la publication d’une feuille périodique d’affiches, d’annonces, et d’avis divers était autorisée dans quatre-vingt-seize villes de l’empire. Dix-neuf villes, où des feuilles analogues se publiaient déjà, pouvaient les conserver à la condition de se conformer aux prescriptions du nouveau décret. Le ministre de l’Intérieur eut seul le droit de régler le format et la justification de ces feuilles, auxquelles il fut absolument défendu de publier aucun article, non seulement de nouvelles politiques, mais de simple littérature ![1]

Croirait-on que de semblables mesures paraissaient encore insuffisantes : le ministre de la police Savary se croyait par surcroît obligé à veiller de près sur les valets de plume qui seuls gardaient le droit d’écrire sous cette odieuse

  1. Voir Hermel : Histoire du Premier Empire.