Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/96

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noncer à leurs évêchés, le pape réclamerait des réfractaires la même renonciation.

La papauté refusa tout d’abord « d’inviter à donner leur démission de leurs sièges épiscopaux quatre-vingt évêques émigrés… Quelle qu’ait été leur opinion sur la nouvelle forme de gouvernement établie en France, dans son commencement, il est bien sûr que l’abandon de leur diocèse a été occasionné par une persécution affreuse contre la religion catholique… Le gouvernement, persistant dans son avis d’une démission générale à donner par tous les évêques émigrés, le Souverain Pontife ne devrait jamais le leur commander, ni substituer d’autres évêques en déposant les anciens en cas de refus.[1] » Mettons de suite à côté de ce langage le texte de l’article 3 : « Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évêchés français qu’elle attend d’eux avec une ferme confiance, pour le bien de la paix et de l’unité, toute espèce de sacrifices, même celui de leurs sièges.

« D’après cette exhortation, s’ils se refusaient à ce sacrifice commandé par le bien de l’Église (refus néanmoins auquel Sa Sainteté ne s’attend pas), il sera pourvu, par de nouveaux titulaires, au gouvernement des évêchés de la circonscription nouvelle… » Le pape a donc dû abandonner ses prétentions, mais du reste, qu’on ne s’y trompe pas, la défense qu’il a faite des évêques émigrés n’a pas été comparable à la bataille entreprise autour du « nécessaire » de l’article premier. Il ne pouvait faire autrement que de protester contre l’exclusion de ceux qu’il compare dans une de ses lettres aux généraux qui avaient combattu à côté du Premier Consul[2], mais il se garda bien de pousser Bonaparte sur ce point, car, somme toute, s’il dépouillait l’ancienne église de France, il le faisait par un acte d’autorité considérable et l’on sait combien la papauté est jalouse de son autorité, combien elle cherche à l’augmenter et à présenter comme jurisprudentielles les mesures extrêmes auxquelles elle a pu recourir. Or exiger et obtenir une fois des démissions d’évêques, c’était pour la cour romaine l’établissement d’un précédent qui lui permettrait pour l’avenir une extension de sa puissance. Pie VII adressa le 15 août 1801 aux évêques réfractaires un bref où, tout en les comblant de louanges et en pleurant sur la tristesse qui emplit son âme, il leur demande de renoncer à leur épiscopat. « Il faut vous démettre spontanément de vos sièges épiscopaux et les résigner librement entre nos mains : chose considérable assurément, nos vénérables frères, mais de telle nature qu’il faut nécessairement et que nous vous la demandions et que tous nous l’accordiez pour arranger les affaires de France. » Les évêques avaient dix jours pour répondre : 45 démissionnèrent, 36 protestèrent au nom des libertés gallicanes qu’ils avaient toujours repoussées, car c’étaient précisément des ultramontains. En réalité, comme on l’a dit très justement, « c’est par fidélité à

  1. Lettre de Spina à Bernier, le 11 novembre.
  2. Lettre de Pie VII à Bonaparte, le 12 mai 1801.