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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/134

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


mépris public[1] », et, de toutes façons, « il n’aidera pas la Némésis à achever son œuvre ». Cependant « c’était un argument décisif que, si quelque redoutable exemple n’est pas fait, si la justice ne frappe pas les hauts coupables, jamais le petit peuple ne croira à l’immensité du crime ». Il avertissait au surplus le procureur général que les huissiers pouvaient lui signifier l’arrêt de Versailles, mais « son procès n’est plus utile et ne l’intéresse plus ».

Telles étaient, sur cette phase nouvelle de l’Affaire, l’opinion des indulgents et celle des inflexibles, l’une où il y avait de la fatigue avec de la bonté, du mépris et de la politique, l’autre où le souci de la Loi, qui doit être égale pour tous, et une très noble préoccupation morale voisinaient avec des rancunes, pas mal de démagogie et cette survivance de l’homme des cavernes qui ne se croit vainqueur que s’il a écrasé la tête de son ennemi. Dès lors, d’autres hésitaient, à cause des éléments divers et de valeur inégale qui entraient dans ces idées contradictoires, comme l’or et le cuivre dans un alliage, et, en attendant qu’ils eussent fait leur choix, ils s’étaient arrêtés à une opinion, non pas intermédiaire (il n’en pouvait pas être), mais provisoire. Ranc inclinait à jeter un voile sur ce passé et à n’en tirer que des enseignements politiques ; j’aurais préféré la justice intégrale, à condition que l’esprit de représailles en fût banni[2] ; et nous étions tous deux d’avis qu’il serait imprudent d’ouvrir le procès de Mercier avant que

  1. C’était textuellement ce qu’il m’avait écrit le 30 avril 1899, (Voir p. 52.)
  2. « Pas de représailles, la justice ! » dans le Siècle du 2 mai (Crépuscule des Traîtres, 421 et suiv.) : « Nous ne sommes ni d’humeur à être des pourvoyeurs de bagne, ni de taille à arrêter la marche de l’immanente Némésis. »