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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/174

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


à ce qui entraîne le plus souvent le populaire, aux grands mots et aux gros mots, et à l’aise seulement dans les arguments et dans les faits ; mais là il excellait, par une telle condensation de force qu’on en oubliait tout ce qui lui manquait de rayonnement, et qu’il faisait de la dialectique, qui n’est que la carcasse de l’éloquence, une éloquence originale et victorieuse. — Jaurès, dans l’affaire Dreyfus, avait précédé le prolétariat ; Millerand avait marché du même pas que le peuple, il n’avait pas eu raison avant tout le monde, ce qui est loin d’être une faiblesse. — Jaurès, quoi qu’il fît, était condamné à rester (dans le sens classique du mot) un démagogue ; Millerand avait figure d’homme d’État, le plus parlementaire des hommes. Les anciens le comparaient à Dufaure, dont il avait, en effet, la forte méthode, l’esprit net et d’une implacable précision, la tactique savante, la rudesse, et les maxillaires.

Sa dernière manœuvre, où les socialistes avaient suivi sans en prévoir les conséquences, datait de quelques jours. Bien qu’il se fût appliqué à en faire peu à peu des parlementaires à son image, ils avaient mis jusqu’alors leur orgueil à se tenir à l’écart des autres groupes républicains. Millerand, devant le péril commun, les décida à nommer des délégués au comité de vigilance où les autres groupes étaient représentés. Dès lors, la question se posa d’elle-même : Pourquoi cette collaboration s’arrêterait-elle au pouvoir[1] ?

Oh a vu la réponse négative de Poincaré, quand Millerand l’engagea à s’adjoindre Viviani ; elle eût été celle de presque tous les républicains, radicaux ou modérés, s’ils avaient été consultés. Ils acceptaient volontiers le

  1. Jaurès, l’Entrée de Millerand au ministère, dans le Mouvement socialiste du 15 avril 1901.