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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/222

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


liers de lettres et d’adresses qui lui arrivaient, chaudes de sympathie et de confiance[1].

Il voulut dès lors s’occuper lui-même de la conduite de son procès, rédigea force notes, d’une précision surprenante de mémoire, et fournit aux deux avocats les explications dont ils avaient besoin, tant sur des incidents qui lui étaient personnels que sur des questions techniques. Il débrouilla aussi les divagations d’apparence scientifique de Bertillon, indiqua comment il fallait les réfuter. Il était très éprouvé par le brusque changement de climat et, malgré la chaleur de l’été, grelottait de froid, n’était jamais assez couvert ; à chaque instant, ses fièvres le reprenaient ; mais son intelligence était restée intacte.

L’une de ces séances fut pénible. Demange ayant expliqué qu’il faudrait apporter à l’audience beaucoup de modération et « qu’il ne s’agissait pas de recommencer le procès Zola », Labori s’emporta, à cause de la formule qu’il trouva offensante, et se mit à déclamer que, s’il n’avait pas eu l’attitude qu’on lui reprochait, Dreyfus serait encore à l’île du Diable. On l’entendit crier du couloir[2]. Dreyfus eut beaucoup de peine à le calmer.

  1. Le prince de Monaco lui offrit l’hospitalité de son château de Marchais, « dès que l’œuvre sainte de la justice sera accomplie. La présence d’un martyr, vers qui la conscience de l’humanité tourne « son angoisse, honorera ma maison. » Castellane adressa au prince une lettre d’injures.
  2. Cet incident donna lieu à la version que Labori, au cours d’une de ses visites à la prison militaire, « avait été subitement édifié » par quelque aveu de Dreyfus… On sait combien l’avocat a le verbe haut ; on put l’entendre hurler, s’adressant au traître : « Vous n’êtes pas défendable ! » (Nouvelliste de Rennes du 5 mars 1904.) Labori répliqua que « tout ce qu’il avait dit et écrit depuis dix ans protestait contre les paroles qu’on lui prêtait » et qu’il n’avait jamais mis en doute l’innocence de Dreyfus. (Cass., IV, 647.)