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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/223

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LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE

Labori avait bu trop jeune d’un vin trop fort. Naturellement personnel et ambitieux, la préoccupation de son moi s’était exaspérée dans cette affaire qui absorbait l’attention du monde ; l’éclatant succès qui lui était venu si vite, les adulations et les attaques, également enivrantes pour un esprit mal préparé, l’avaient persuadé que le procès Zola avait été son procès Baudin et qu’il ne ferait qu’un bond, après la victoire, de la barre à la tribune, et de la Chambre aux plus hautes destinées. Il n’excluait encore de ses prévisions que la défaite.

IV

Le jour même où il s’installa au ministère, Galliffet, en rentrant chez lui, trouva Boisdeffre qui faisait antichambre. Il l’avait toujours tenu en peu d’estime et harcelé d’épigrammes. Dès qu’il le vit, il lui jeta que ni lui ni Gonse ne pouvaient désormais prétendre à aucun emploi, mais qu’il ne souffrirait pas qu’on touchât à un cheveu de leurs têtes : « Pas de représailles, j’ai posé cette condition[1]. » C’était tout ce que demandait Boisdeffre.

Galliffet n’avait posé aucune condition, et il y avait

  1. Je tiens ce récit de Galliffet lui-même. — Le même jour, Waldeck-Rousseau avait reçu des délégués de l’Extrême-gauche de la Chambre et de l’Union démocratique du Sénat qui l’interrogèrent sur la lettre de Galliffet, en avril, « contre les représailles ». (Voir p. 79.) Il leur répondit que « les termes de cette lettre, écrite par le général à titre privé, ne constituaient aucun engagement pour le cabinet et que Galliffet, comme ministre de la Guerre, était prêt à prendre les mesures que le cabinet jugerait nécessaires à l’égard des officiers coupables ». (Note officieuse du 24 juin.) Un rédacteur de la France militaire ayant montré cette note à Galliffet, celui-ci répliqua « qu’il