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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/322

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


principaux royalistes, Moisson de Vaux, Lur-Saluces et Buffet, avertis par quelque trahison[1], s’étaient enfuis ou cachés ; on télégraphia aussitôt leur signalement aux frontières, mais Buffet, seul, fut reconnu (à Feignies, au moment où il allait passer en Belgique), et ramené à Paris. De Vaux, qui était malade, voulait surtout éviter la détention préventive ; il se constitua prisonnier à la veille du procès devant la Haute Cour et son exemple fut suivi successivement par Habert et Lur-Saluces. Pour Ramel, bien que des plus compromis, il fut laissé en liberté provisoire, ainsi que l’ex-juge Grosjean. Le duc de Luynes resta quelque temps en Belgique, bien qu’il ne fût pas inculpé ; Dubuc fut arrêté seulement en septembre.

L’attention était tellement concentrée sur Rennes que ce coup de filet produisit peu d’émotion. Sauf le personnel des Ligues, le gros des royalistes et des césariens n’était pas initié au complot, et les républicains, avec leur ordinaire incapacité de prévoir, n’y croyaient plus. L’impression générale fut que Waldeck-Rousseau,

  1. On a raconté (mais sans qu’aucune preuve en ait été fournie) que Demagny, secrétaire général au ministère de l’Intérieur, les aurait fait prévenir par Arthur Meyer, avec qui il était en relations d’affaires et qui l’aurait gagné secrètement à la cause royaliste. Waldeck-Rousseau avait la plus entière confiance en Demagny, ancien chef du cabinet de Constans et de Freycinet, conseiller d’État, ministre plénipotentiaire, secrétaire du conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur, l’un des grands fonctionnaires de l’époque. L’infidélité de Demagny ne fut soupçonnée qu’après sa mort. On trouva, dans un coffre-fort qu’il avait au Crédit Lyonnais, une somme considérable (plus d’un million) dont l’origine ne put être établie. S’était-il contenté de spéculer à la Bourse ? avait-il trafiqué de son influence ? était-il entré dans quelque négociation avec le duc d’Orléans ? Peu d’affaires sont restées plus mystérieuses. Waldeck-Rousseau, à qui la veuve de Demagny avait demandé d’être le tuteur de ses enfants, refusa de gérer cette fortune inattendue.