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RENNES


son client[1] », soit pour le consoler et l’encourager, soit qu’il se fût fait lui-même illusion sur le courage des hommes publics.

Le souvenir de la déception qui suivit hanta Dreyfus à l’île du Diable ; il s’était persuadé, non sans motif, qu’il n’aurait pas été condamné si le huis clos n’avait pas été prononcé ; et il ne comprenait toujours pas pourquoi sa requête n’avait pas été admise. Cependant, il avait continué à se taire du prétendu secret, comme s’il eût pu résulter quelque danger pour la France qu’il nommât l’Allemagne à son rocher, et sa fidélité à cette consigne de silence était l’une de ses fiertés. Ainsi, il avait dit au gouverneur, un jour qu’il se sentait trop malheureux, combien sa justification était difficile, puisqu’« il avait engagé sa parole au Président de la République de ne jamais dévoiler l’origine de la fameuse lettre[2] », et il avait écrit, une autre fois, à Deniel : « Cette parole que j’avais donnée à M. Casimir-Perier, je l’ai tenue… D’ailleurs, ne l’eussé-je pas donnée, que ma conscience de soldat loyal et dévoué à son pays m’eût, de la même manière, imposé strictement ma conduite[3]. »

  1. Rennes, I, 165, Demange : « Ai-je donné trop d’espérance à Dreyfus ? C’est possible. C’était un accusé et c’est un peu notre rôle de les consoler et de les encourager. »
  2. Rapport de Deniel : « Agissements de Dreyfus à l’île du Diable. Le 7 octobre 1897, Dreyfus dit à M. le Directeur : « Au moment de mon procès, j’ai, par l’intervention de Me Demange, engagé ma parole d’honneur envers le Président de la République, M. Casimir-Perier, de ne jamais dévoiler l’origine de la fameuse lettre qu’on m’attribue, qui m’a fait condamner et que tous les experts n’ont pas voulu certifier être de moi. » (Rennes, I, 93.)
  3. Voici le début de la lettre : « Lors du premier conseil de guerre, j’avais demandé à M. Casimir-Perier, président de la République, la publicité des débats. Après m’avoir fait donner ma parole de me soumettre à certaines conditions trop naturelles,