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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/40

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Aujourd’hui Reinach triomphe ; il dit, insolent et goguenard :

« On peut perquisitionner chez les patriciens et chez les plébéiens français, chez les voyageurs de commerce et chez les ouvriers. On ne perquisitionne jamais chez moi. Je puis mettre sur mon hôtel de l’avenue Van Dyck une enseigne avec ces mots : Ici on vend la Patrie. Ici on travaille pour l’Allemagne. Jamais ni Blanc ni Viguié n’oseront venir à mon domicile. »

Il changera de ton lorsqu’il entendra ses coreligionnaires, avant d’être appelés pour l’exécution, lui crier :

« Scélérat, c’est toi qui nous as embarqués dans cette sale histoire ! Nous avions encore vingt ans devant nous pour ruiner la France en douceur, lorsque tu as eu l’idée de jeter à ce pays un défi qui a été relevé[1] ! »

Esterhazy, d’humeur alors batailleuse, ce qui lui arrivait par accès, tantôt dans ses noires misères, où sa colère lui tenait lieu d’escopette, tantôt pour le plaisir, quand il avait quelque argent en poche, répondit vertement à Drumont : « J’ai tant vu de lâchetés depuis bientôt deux ans qu’une de plus ou de moins n’est pas une affaire… Non, monsieur, et vous le savez mieux que personne, le Syndicat ne m’a pas acheté. Dire que j’ai été acheté est une calomnie et un mensonge… Je ne suis, pas à vendre. » Mais il n’est pas homme non plus à se laisser faire, et on aura de lui, à son heure, d’autres révélations, e*t autrement graves : « Les âmes de condottieri ne sont pas des âmes d’épiciers ; c’est pourquoi je n’oublierai point l’appui que j’ai rencontré à la Libre Parole. Je suis, monsieur, votre serviteur[2]. » Il communiqua lui-même aux agences son épître à Drumont, puis, pour en appuyer la pointe, il s’épancha,

  1. Libre Parole du 9 mars 1899.
  2. De Londres, 10 mars.