Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/547

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
537
LA GRÂCE


en est sorti sciemment ; la Cour, saisie par le ministre de la Justice[1], fera prévaloir son arrêt, la loi, contre ceux qui ont affecté de n’en pas tenir compte. »

Monis fut du même avis, prêt à marcher. Mais il fallait l’assentiment de Galliffet.

Waldeck-Rousseau s’était cru sûr du général. L’avant-veille du verdict, il lui expliqua ses intentions. Galliffet écouta d’abord sans trop objecter ; puis, à la réflexion, le matin suivant, lui écrivit : « S’il y a condamnation et condamnation à l’unanimité ou presque unanimité, nous ne pourrons pas nous dissimuler qu’il y a dans l’armée un parti pris, et absolument pris, de ne pas vouloir l’acquittement de Dreyfus » ; dès lors, si le gouvernement intervient, « s’il provoque, par les actes du Garde des Sceaux, la cassation du jugement de Rennes pour excès de pouvoir, ce sera le combat contre deux conseils de guerre, le combat contre toute l’armée concentrée dans une résistance morale… N’oubliez pas qu’à l’étranger, partout à l’étranger, la condamnation sera jugée avec une sévérité extrême ; n’oublions pas qu’en France, la grande majorité est antisémite. Nous serons donc dans la posture suivante : d’un côté, toute l’armée, la majorité des Français (je ne parle pas des députés et des sénateurs), et tous les agitateurs ; de l’autre, le ministère, les dreyfusards et l’étranger[2]. »

Il n’y avait que trop de vrai dans cette vue simplifiée et brutale des choses. La lettre, d’une cordialité respectueuse, finissait pourtant sur une vague menace : « Nous n’avons pas été et ne voulons pas être le ministère de l’acquittement… Le gouvernement ne peut entrer en lutte

  1. Article 441 du Code d’instruction criminelle.
  2. Lettre du 8 septembre 1899. — Voir Appendice IV.