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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/568

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Non, reprit Mathieu, il ne s’agit pas de majorité. Si vous persistez à déconseiller le retrait du pourvoi, je n’y consentirai pas. »

Clemenceau, après une longue minute de silence : « Eh bien, si j’étais le frère, j’accepterais. »

Aucun de nous n’essaya de lui en tirer davantage.

Jaurès : « Il est bien entendu que Dreyfus et Mathieu, après la grâce, continuent la lutte. » Moi : « En doutez-vous ? » Ni Jaurès ni Clemenceau n’en doutaient. Mathieu vivement : « Je vous demande d’écrire ici, vous-mêmes, tout de suite, la déclaration qu’il publiera en sortant de prison. » Jaurès s’assied au bureau de Millerand ; nous rédigeons ensemble :

Le gouvernement de la République me rend la liberté. Elle n’est rien pour moi sans l’honneur. Dès aujourd’hui, je vais continuer à poursuivre la réparation de l’effroyable erreur judiciaire dont je suis encore victime. Je veux que la France entière sache, par un jugement définitif, que je suis innocent. Mon cœur ne sera apaisé que lorsqu’il n’y aura plus un Français qui m’impute le crime qu’un autre a commis.

Millerand remet à Mathieu la lettre de Galliffet au général Lucas ; il sera introduit chez son frère dès qu’il arrivera à Rennes.

Cependant, une crainte, sinon un soupçon, vient à Clemenceau : « Millerand, dit-il, vous êtes bien sûr que la grâce sera prononcée demain… », et Mathieu appuie. Millerand, se tournant vers Mathieu : « Je vous donne ma parole d’honneur, monsieur Dreyfus, que si la grâce n’est point accordée demain, je donnerai ma démission. »