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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/575

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LA GRÂCE


Westminster, blâma à la fois le jugement de Rennes et tout ce bruit ; il écrivit au Times : « Si je déteste la sentence rendue par cinq officiers je dis aussi qu’il est extravagant de voir les étrangers s’exalter comme ils le font avant même que ce jugement ait été soumis à l’autorité suprême de l’État. »

Le tapage cessa ; on peut dire que tous les peuples attendaient la parole libératrice de Loubet, le geste qui ouvrirait la prison de Rennes.

Le 18, la Haute Cour se réunit, entendit le réquisitoire du procureur général Bernard, et décida, par plus de 200 voix[1], le renvoi du dossier à sa commission d’instruction.

Le lendemain, qui était le dixième jour depuis la condamnation, Loubet signa le décret de grâce qui était précédé d’un rapport de Galliffet[2].

Ce rapport, quand il fut publié, mécontenta beaucoup de revisionnistes, parce qu’il y était seulement question de « clémence », de « haute humanité » et d’« apaisement », et qu’il annonçait l’amnistie. En effet, Loubet avait exigé que le rapport fit connaître son intention « d’effacer toutes les traces d’un douloureux conflit », et Waldeck-Rousseau y avait consenti.

Le mot de « clémence » ne trompa personne ; chacun savait que si le gouvernement graciait Dreyfus, c’est qu’il le savait innocent.

Dans la nuit qui suivit, le directeur de la Sûreté vint prendre Dreyfus à la prison et le conduisit en voiture à une gare de campagne, où ils montèrent dans un train pour Nantes. Mathieu l’y attendait, pour le mener de là, par Bordeaux et Avignon, à Carpentras,

  1. 234 voix contre 14.
  2. Voir Appendice V.