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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/574

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pieds du prêtre qui se réjouit du mensonge vainqueur et chante l’hosannah du crime triomphant[1]. » Au contraire, ils ne parlaient que d’apaisement, d’oubli, devenaient idylliques ; déjà le mot d’ordre était de dénoncer les perturbateurs, les mauvais citoyens à qui la grâce ne suffisait pas, qui osaient écrire : « Quand on aura fait droit à la pitié, il restera la justice à satisfaire[2]. »

Le grand effort que j’avais fait pour la grâce m’imposait le devoir de déclarer publiquement ce que j’avais dit à Jaurès et à Clemenceau, à savoir que, pour ma part, je ne renonçais pas à toute la justice. Je n’avais pas voulu que la France portât devant le monde le poids du verdict de Rennes ; je ne voulais pas davantage « qu’elle restât débitrice envers un innocent d’une parcelle de son honneur ». Mon article du 17 (Prométhée enchaîné) ne laissa nulle place à l’équivoque :

Cette dette, cette toute petite dette en apparence, au poids où l’on pèse les denrées et les marchandises, c’est celle qui constitue non pas tant l’honneur d’un homme que l’honneur même d’un peuple, c’est-à-dire le Droit lui-même, le Droit immortel et absolu, sans lequel toutes les inscriptions qui s’étalent sur les monuments publics ne sont que des mensonges, sans lequel il ne vaut pas la peine de vivre, en l’absence duquel il vaudrait mieux pour les hommes retourner aux cavernes des troglodytes. C’est le Droit enchaîné qu’il va falloir délivrer sur son Caucase.

Le même jour, comme l’agitation anti-française continuait au dehors, le cardinal Vaughan, archevêque de

  1. Aurore du 16 septembre 1899.
  2. Aurore du 15. — De même Jaurès, Ranc, Lacroix, Yves Guyot, L.-V. Meunier, Viviani.