Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
580
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


bable, que le conseil de revision de Paris, oubliant que sa mission consiste à envisager la forme et ses vices — et rien de plus — entre dans la peau des juges de Rennes et se refuse à casser leur jugement, — nous ne pourrons nous dissimuler qu’il y a dans l’armée un parti pris, et absolument pris de ne pas vouloir l’acquittement de Dreyfus.

Cet état d’esprit se généralisera d’autant plus que tous les indécis se rallieront à tous ceux que l’on nommera les vainqueurs — (je parle des indécis de l’armée).

S’il en est ainsi, comme c’est archi-probable, il y aura d’un côté l’armée et de l’autre côté « les autres ». Si le ministère pouvait rester au-dessus des uns et des autres, la chose serait simple, et il suffirait d’un peu d’énergie.

Mais, d’après ce que vous m’avez dit hier soir, le gouvernement, par les actes du Garde des Sceaux, devra intervenir et provoquer la cassation du jugement de Rennes pour excès de pouvoir. Ce sera le combat contre deux conseils de guerre et deux conseils de revision. Ce sera le combat contre toute l’armée, concentrée dans une résistance morale. N’oubliez pas qu’à l’étranger, partout à l’étranger, la condamnation sera jugée avec une sévérité extrême ; que, parmi les revisionnistes de France, beaucoup, fatigués de la lutte, vont passer du côté des conseils de guerre. N’oublions pas qu’en France la grande majorité est antisémite. Nous serons donc dans la posture suivante : d’un côté toute l’armée, la majorité des Français (je ne parle pas des députés et des sénateurs), et tous les agitateurs ; — de l’autre, le ministère, les dreyfusards et l’étranger.

Nous n’avons pas été et nous ne voulons pas être le ministère de l’acquittement, mais celui qui s’inclinerait devant la sentence du conseil de guerre quelle qu’elle fût. Cette solution sera moralement acquise lors même qu’elle aurait été précédée de vices de forme.

En supposant (ce que je ne puis admettre) qu’elle n’ait pas été résolue par des hommes s’inspirant de leur conscience, il faudrait, pour la combattre, avoir pour soi une très grosse majorité dans le Parlement et dans le pays ; ce ne sera pas