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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

VII

L’arrêt était rendu par ce qu’on pouvait appeler maintenant, enfin, « la conscience publique ». On ne savait encore rien des Chambres réunies.

La Cour, après avoir longuement étudié le dossier judiciaire, voulut connaître le dossier secret. Chamoin le lui présenta[1], plaida, selon les instructions de Freycinet, mais sans nulle conviction apparente, que Dreyfus était coupable. Les conseillers des Chambres civiles, comme l’avaient fait ceux de la Chambre criminelle, examinèrent, palpèrent, une à une, les fameuses pièces, falsifiées ou fausses pour la plupart. Rien, des niaiseries, des histoires de femmes. On se regardait avec stupeur, consterné d’une telle sottise ou déçu d’un tel néant ; Chamoin, qui en eut conscience, regardait le plafond. Quand on eut terminé, un conseiller lui demanda si c’était bien tout le dossier, toutes les pièces. Chamoin en donna sa parole, dans l’ignorance où il était que des documents favorables à Dreyfus avaient été soustraits ou cachés[2]. Le conseiller : « Il se pourrait qu’il y eût, au ministère de la Guerre, une pièce d’où résulterait la culpabilité de Dreyfus, mais telle qu’elle ne puisse pas être produite sans inconvénients. Je ne vous demande pas de dire ce que contiendrait cette pièce. Je vous demande seulement de dire, sur l’honneur, si, oui ou non, il existe une telle pièce. » Il pensait au document mystérieux dont Esterhazy et Henry, Rochefort et Drumont, Millevoye, à Suresnes, puis Lasies, à la tribune de la Chambre, avaient menacé

  1. 27 mars 1899. — Il était accompagné de Cuignet.
  2. Voir t. IV, 477.