Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
CHAMBRES RÉUNIES


loppa sa question dans les termes les plus mesurés ; quelques passages des articles de Georges Duruy, qu’il cita, émurent fort la Chambre, l’un surtout où le professeur rappelait sa fierté la première fois qu’il était monté à cette chaire d’où on venait de le chasser : « Ils étaient là, devant moi, plus de deux cents, soldats aujourd’hui, officiers demain, pris dans l’élite de la jeunesse, venus des quatre coins du pays, anciens élèves de nos lycées ou de la rue des Postes, catholiques tièdes ou fervents, un petit lot de protestants et d’israélites, tous de cœur profondément français, les derniers comme les autres…… » Avait-il été hué par ses élèves, puis frappé par le ministre, pour avoir écrit « qu’un cœur de Français pouvait battre dans la poitrine d’un juif » ?

Freycinet n’aurait eu qu’un mot à dire pour donner satisfaction aux républicains : à savoir que le cours du jeune professeur serait rouvert la semaine suivante. Mais aigri, comme il l’était, contre Delcassé, mécontent de Dupuy, prisonnier des commandants d’armée et du général en chef Jamont qui le harcelaient dans son cabinet et le menaçaient de leur démission[1], inquiet enfin des assauts qu’il aurait à subir au lendemain de l’imminente revision[2], il n’aurait pas parlé autrement qu’il le fit,

  1. Le Moniteur du Calvados, journal de Lebret, raconta, le 27 mars 1899, une démarche de Jamont auprès de Freycinet : « Il a fait part au ministre de la situation particulièrement délicate qui était faite aux officiers. Il ne lui a pas caché que la discipline militaire se ressentait étrangement des attaques portées contre les généraux, et que la confiance n’existait plus de la part du soldat pour le chef. »
  2. Dans son for intérieur, il souhaitait la revision, me le fit dire, le matin même de cette séance, par un de nos amis communs, Jules Herbette, ancien ambassadeur à Berlin, que j’avais prié, l’avant-veille, de raconter à Freycinet certains propos de l’Empereur d’Allemagne au prince de Monaco. Herbette était, convaincu de l’innocence de Dreyfus et très ardent pour la revision.
6