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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


s’il avait cherché de propos délibéré un prétexte pour s’évader du pouvoir. Du fait d’avoir été de nouveau ministre après les scandales qui l’avaient éclaboussé, il avait retrouvé tout son honneur officiel, et pour sa renommée, qui n’avait souffert que de ses propres fautes, il ne tenait ni à la compromettre davantage par de nouvelles faiblesses, dont il eût été capable, ni à la rétablir par un peu de courage, dont il ne se sentait plus la force.

Nul n’était plus maître de sa parole, plus prompt à deviner les désirs des assemblées et à s’y conformer ; il fut gratuitement maladroit, en contradiction avec lui-même et avec les faits. (« Duruy a écrit des articles de nature à éveiller les susceptibilités de la jeunesse… », et il refuse de dire lesquels, d’en citer une ligne[1] ; « les élèves de l’École, et non quelques-uns, comme a dit Gouzy, ont manifesté », et, pourtant, « l’École est admirablement disciplinée à l’heure actuelle… ») À cette dernière phrase, une clameur s’éleva des bancs de la gauche, qui n’avait cessé de l’interrompre, de le traiter comme elle faisait, il n’y a pas un an, des défenseurs de Dreyfus. Il fit le geste d’un homme de bonne compagnie à qui sa dignité défend de discuter plus longtemps avec des gens de mauvaise éducation, et descendit de la tribune.

Si les radicaux, dont il avait été l’homme pendant tant d’années, l’avaient écouté en silence, il s’effondrait. Leur tapage lui épargna un vote de blâme. Ni les instances de Dupuy ni celles de Loubet ne parvinrent à le retenir ; il donna, le soir même, sa démission, alléguant qu’après l’accueil qu’il avait reçu de la Chambre, « il ne se sentait plus l’autorité nécessaire » pour rester au pouvoir.

  1. « Il ne me convient pas de lire ces articles… Non, je ne veux pas les lire… etc. » Il sortit de son portefeuille le numéro du Figaro, le déploya, le replia.