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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/131

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L’AMNISTIE


Waldeck-Rousseau s’occupa de lui donner un successeur ; Brisson et Bourgeois lui désignèrent le général André, que Galliffet avait fait venir l’année précédente à Paris, pour y commander une division d’infanterie et dont le zèle républicain et l’ardeur anticléricale leur étaient connus. André, dès le lendemain, était chez Waldeck-Rousseau ; Brisson le présenta. « Si nous nous entendons, lui dit Waldeck-Rousseau, je vous demanderai de prendre le portefeuille de la Guerre. Sinon, je le prendrai moi-même[1]. » Ils s’entendirent, ou crurent s’entendre, et Loubet signa le soir même la nomination d’André.

C’était un homme de grande taille, un long corps noueux et flottant, à la recherche de son équilibre, le visage triste et tout en hauteur, des yeux clairs, pleins de bonté, des traits bizarres, qui n’avait rien de martial et qui ne trichait pas pour le paraître, un civil en uniforme. Il n’avait pas d’esprit naturel, mais il avait une vaste lecture dans tous les sens, dont il avait gardé beaucoup, sans trop d’ordre, et, en sa double qualité d’ancien polytechnicien et de positiviste, il se croyait l’homme du monde qui avait le plus de méthode. S’étant persuadé qu’il raisonnait scientifiquement de toutes choses, il ne s’était pas plutôt fait une opinion qu’il s’y attachait avec une opiniâtreté extrême, la laissait discuter par courtoisie, s’y cramponnait d’autant plus, avec une parfaite bonne foi. Il était difficile d’être plus dénué d’hésitation et de souplesse. La confiance à peu près illimitée qu’il avait en soi, il ne la manifestait pas seulement dans son métier. Ainsi il s’étonnait que Waldeck-Rousseau préparât ses discours alors qu’il improvisait les siens. Bien qu’il eût servi dans la garde im-

  1. André, Cinq ans de ministère, 10.