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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/17

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L’AMNISTIE

Trarieux suggéra alors de dénoncer Savignaud, l’ancien planton de Picquart en Tunisie, qui prétendait avoir porté à la poste des lettres du colonel à Scheurer et qui avait été suborné par Henry, à l’époque de Cavaignac[1]. On n’avait pas encore la correspondance de Leblois et de Scheurer[2], qui donnait la preuve matérielle que celui-ci, en 1897, ne connaissait pas Picquart ; mais Scheurer, au cours du procès de Rennes, avait écrit à Jouaust qu’il avait vu Picquart pour la première fois au procès Esterhazy et que, précédemment, il n’avait pas reçu de lettres de lui ; et l’ordonnance de Picquart, Roques, avait déposé que c’était lui qui, en Tunisie, avait toujours porté les lettres de son chef à la poste. Il y avait donc, selon Trarieux, des chances sérieuses de faire condamner Savignaud ; comme la loi ne distingue pas entre les faux témoins dont le mensonge a pesé sur le jugement et ceux que les juges ont tenus pour négligeables, la demandé en revision serait recevable. Cependant il ne fut pas donné suite à l’avis de Trarieux, parce que le lien était par trop ténu entre l’incident Savignaud et l’affaire Dreyfus, et parce que l’opinion n’eût pas compris qu’on essayât de rentrer dans un aussi grand drame par une si petite porte.

Picquart, qui avait seul qualité pour porter plainte contre Savignaud et qui souhaitait le procès, n’insista pas. Aussi bien avait-il sacrifié assez à la cause de Dreyfus et conquis le droit de penser un peu à lui-même. En effet, il était toujours sous le coup de l’absurde plainte en conseil de guerre, que Cavaignac avait

  1. Voir t. III, 105.
  2. Elle ne fut publiée qu’en 1901 (7 à 10 mai), dans le Siècle.