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LE BORDEREAU ANNOTÉ


t-il loin de Paris ? Pourquoi ne se joint-il pas, dans leurs efforts contre l’amnistie, aux amis qui se sont dévoués pour lui ? Quand Waldeck-Rousseau a dit que la sentence de Rennes a été régulièrement rendue et que le condamné a « accepté » sa grâce, comment Dreyfus n’a-t-il pas protesté, rectifié ? Que s’est-il donc « passé », à Rennes même, pendant le procès ? comment Dreyfus a-t-il laissé « plaider le doute[1] » ? « Dans quelles conditions la grâce a-t-elle été négociée, acceptée, appliquée ? » « Le lourd silence qu’elle semble avoir imposé à l’innocent, du jour où il fut libre[2] », étonne Labori et il en demande le secret à tout le monde.

Si Labori avait été seul à tenir ces propos, Mathieu s’en serait affligé, mais non inquiété ; la plupart des revisionnistes n’accordaient que l’attention qu’il fallait aux boutades du tumultueux avocat ; autant en emportait le vent. Mais d’autres encore, impatients ou aigris, et surtout Picquart, blâmaient ou regrettaient, eux aussi, l’absence prolongée de Dreyfus, son « attitude » d’où résultait « qu’il ne se préoccupait plus que d’une question personnelle[3] », comme s’il avait pu se préoccuper utilement et décemment d’autre chose. Plus l’île du Diable s’éloignait dans le lointain, plus il se trouvait d’hommes forts pour protester que Dreyfus n’aurait jamais dû accepter la grâce, la rendre possible par le retrait de son pourvoi ; « son désistement a été un marché imposé par des politiciens[4] ». Jaurès

  1. Voir t. V, 525.
  2. Grande Revue du 1er novembre 1901 ; Journal du 3 décembre.
  3. C’est ce que dit Vazeille, porte-parole de Picquart, dans son discours du 17 décembre 1900 : « L’attitude de Dreyfus est significative ; elle montre qu’il ne se préoccupe plus aujourd’hui que d’une question personnelle. »
  4. C’est ce que Havet écrira encore en 1902 (Siècle du 5 août) et Clemenceau en 1903 : « Au nom de l’intérêt personnel de