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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/190

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


reprendre en disant pourquoi[1]. Il n’avait plus ma confiance ni moi la sienne : comment eût-il pu parler en mon nom à la barre ?

Labori s’expliqua dans plusieurs articles du Journal sur l’incident[2], et, par la même occasion, sur les Dreyfus, le procès de Rennes, « l’étrange attitude de la police » lors de l’attentat dirigé contre lui. Comme il donna exactement le motif de ma décision, je gardai le silence. Il polémiqua, par contre, avec Bernard Lazare qui l’avait malmené (Labori disait : calomnié) dans une conversation imprudente avec un journaliste. Lazare lui riposta vivement : « Vous suffisez à jeter à bas votre statue. » Picquart prit parti pour Labori.

Le public donna peu d’attention à ces tristesses.

Dreyfus, au printemps de 1901, avait fait paraître ses souvenirs, son journal de l’île du Diable[3]. Le petit volume, traduit dans toutes les langues, remua profondément les cœurs simples, étonna par la faculté, « presque pathologique, de parler de lui-même comme d’un autre[4] ». On rappela le mot de Nietzsche : « L’homme objectif n’est qu’un miroir : il ne fait que refléter. » Mais que reflète-t-il ? Comme le miroir, rien que les lignes, la forme, le côté extérieur des choses. Il ne pénètre pas à l’âme, n’interprète pas.

Leblois publia sa correspondance avec Scheurer-Kestner ; le directeur d’une agence d’informations acheta à Esterhazy un texte de sa déposition devant le consul de France qui parut dans le Siècle ; Esterhazy en vendit une autre version à un journal belge[5].

  1. 26 novembre 1901.
  2. 4, 5, 6, 9, 12 et 14 décembre 1901.
  3. Cinq années de ma vie (mai 1901). — Voir t. II, 134.
  4. Julien Benda, dans la Revue franco-allemande, d’août 1901.
  5. Indépendance belge, mai 1901.