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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/195

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LE BORDEREAU ANNOTÉ


et en donna lecture à son visiteur, qui aurait voulu en prendre copie ; Galliffet, par un reste de scrupule, s’y refusa. Aussi bien les aurait-on fort surpris si on leur avait annoncé que la revision du procès de Rennes sortirait un jour de leur entretien.

Judet, en quittant Galliffet, court chez Lemaître. C’est « sous la dictée du général[1] » qu’il a noté cette phrase qui résume sa lettre : « On verrait d’un côté l’armée, le pays et les législateurs ; de l’autre le ministère, les dreyfusards et l’étranger. » Or, la phrase est altérée et tronquée, car Galliffet a écrit : « Nous serons donc dans la posture suivante : d’un côté toute l’armée, la majorité des Français (je ne parle pas des députés et des sénateurs), et tous les agitateurs ; de l’autre… » Il n’est plus question, dans la version de Judet, des « agitateurs », c’est-à-dire de tous ceux qui exploitent l’Affaire contre la République et y cherchent une occasion de troubles.

Lemaître n’eut pas plutôt les bavardages de Galliffet qu’il en fit le thème d’une affiche, y intercala au bon endroit la phrase que Judet lui avait donnée comme textuelle, et la commenta avec l’ordinaire ingénuité mêlée de perfidie qu’il apportait dans les choses de la politique : « La résolution, écrit-il, de briser la justice militaire par la justice civile de Monis aurait certainement abouti à un monstrueux attentat sans la résistance du ministre de la Guerre… Le ministère actuel a été qualifié implicitement de ministère de l’étranger dans une lettre officielle écrite par le général de Galliffet. »

Avant de faire apposer l’affiche, Lemaître en donna la primeur dans l’une des réunions organisées par Sy-

  1. Rapport Beauregard, 121, Jules Lemaître.