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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/234

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tendent qu’elle les rembourse sur de nouveaux emprunts et parce que parler, publier un doute, faire du bruit, « ce serait déchaîner la catastrophe[1] ». Quand Waldeck-Rousseau, plaidant pour le liquidateur d’une banque de Normandie qui a prêté plusieurs millions aux Humbert, osa mettre en doute l’existence des Crawford, Thérèse protesta moins haut que certains créanciers. — Parfois l’un des Crawford traverse rapidement la scène, reçoit l’assignation d’un huissier, passe à cheval dans une allée du bois où il échange un salut discret avec Thérèse. Tout s’arrangerait si la nièce de Thérèse acceptait d’épouser le fils de l’un des Crawford ; mais par malheur, elle n’y consent pas. Et ainsi l’on continue à plaider jusqu’à la veille même de la débâcle, car il faut pourtant que la débâcle arrive, quand les mauvais bruits deviennent plus fréquents, les prêteurs plus rares, quand l’un des créanciers, appuyé par un journal à gros tirage, saisit le parquet d’une plainte en escroquerie, et, quand cette même justice, si longtemps complaisante ou aveugle, ordonne enfin l’ouverture du coffre-fort où sont les millions. Alors toute la bande prend la fuite. On ne la retrouva à Madrid qu’après quelques mois et elle fut aussitôt extradée[2].

Il y avait beaucoup d’enseignements à tirer de cette aventure, surtout au regard des magistrats et de tous les gens de loi qui auraient dû regarder plus tôt au fond des choses ; le monde conservateur y vit surtout une occasion de jeter le discrédit sur les républicains qui fréquentaient chez les Humbert, comme s’ils avaient connu que c’étaient des escrocs. Toute la presse de droite donna, répandit les inventions les plus sottes

  1. Notes de Waldeck-Rousseau sur l’affaire Humbert.
  2. 20 décembre 1902.