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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/295

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L’ENQUÊTE


une opinion raisonnée. Monod[1], Viviani[2], Varenne[3] répliquèrent fortement. Quoi ! l’honneur serait moins complètement rendu à Dreyfus par les Chambres réunies que par sept soldats ! Étrange hérésie de la part de républicains que de dresser le pouvoir militaire en face du pouvoir civil, dont la Cour de cassation est le représentant judiciaire ! Prétention plus singulière encore de dire au juge : « Tu ne regarderas pas à la loi, mais tu consulteras les préférences du condamné ou celles des sophistes qui poursuivent des expériences ! » Or, la loi, obscure et longtemps controversée sur quelques points[4], est claire et incontestée pour le cas où il ne subsiste aucun fait qui puisse, à la charge du condamné, être qualifié crime ou délit ; « aucun renvoi ne doit être prononcé[5] ». Et Viviani demandait à Clemenceau et à Picquart, convaincus depuis plus longtemps que lui de l’innocence de Dreyfus, s’ils croyaient ou non qu’il resterait dans le dossier, après l’examen de la Cour, un élément de crime.

Tous les deux s’obstinèrent ; Picquart écrivit que les amis de Dreyfus « cherchaient, une fois de plus, à rapetisser cette grande cause à une question d’intérêt immédiat et personnel[6] », et Clemenceau, qu’autant valait « s’arranger en justice de paix[7] ».

  1. Lettre à Clemenceau, dans l’Aurore du 8 décembre 1903.
  2. Pour le pouvoir civil, dans l’Action du 9.
  3. Action du 28.
  4. Voir t. V, 75 et suiv.
  5. C’est ce que dira l’arrêt de Revision (Voir p. 476).
  6. Gazette de Lausanne du 2 janvier 1904. — Et encore : « On dirait vraiment qu’étreints par la crainte instinctive que leur inspirent encore les bourreaux de Dreyfus, ils songent à les amnistier de la honte en échange de la réhabilitation, après les avoir amnistiés de la peine en échange de la grâce… Ils en seront probablement pour leur beau geste… Nous avons mieux à faire que de transformer cette grâce en une réparation boiteuse. »
  7. Aurore du 6 mars 1904. — Manau, qui avait conclu, en