Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
L’ENQUÊTE


militaire allemand à Paris. Une assez grande intimité s’établit entre eux. L’officier français, qui croyait alors à la culpabilité de Dreyfus, parce que c’était l’opinion générale dans l’armée, mais qui connaissait fort mal l’Affaire et s’y intéressait fort peu, évitait d’y faire allusion. Ce fut Dame qui en parla, un soir qu’ils dînaient à Carlsruhe avec deux autres officiers allemands, dont l’un était attaché au général de Schlieffen, chef de l’État-Major, et l’autre occupait une situation importante à la Cour. Péroz crut comprendre que Dame expliquait ainsi l’Affaire : un drame à trois personnages, Esterhazy, « l’auteur du bordereau », l’auteur principal de toutes les trahisons commises en 1894 au profit de l’Allemagne, Lajoux, « espion double, fort habile, très fin », « qui tenaient les rôles actifs » et « étaient payés pour cela » ; et un troisième, « dont on aurait joué », « embrayé » dans l’aventure, et qui, cependant, « aurait rendu inconsciemment de grands services aux deux compères ». Comme Dame se refusait à nommer ce troisième acteur, Péroz en conclut que c’était Dreyfus et qu’ainsi les choses s’expliquaient très bien. Mais Dame lui « jura sur l’honneur » que Dreyfus était absolument innocent et que ni lui, comme chef du service des Renseignements, ni son gouvernement « n’avaient jamais eu la moindre relation » avec l’officier stagiaire. Les deux autres convives, « qui paraissaient d’une bonne foi parfaite », confirmèrent le récit de Dame et, quand Péroz sembla le mettre en doute, s’en montrèrent « froissés ». S’il avait su alors « ce qu’était l’affaire Dreyfus », Péroz aurait certainement obtenu des indications « plus précises[1] ».

  1. Cour de cassation, 7 mai 1904, Péroz ; lettres de Péroz, des 13 et 16 septembre 1899, à Sentupéry.
23