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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1908, Tome 6.djvu/441

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LA REVISION


société moderne, à chaque citoyen, tenu de la dette envers l’armée, et la peur, la basse peur physique de risquer sa peau. La longue obstination de l’État-major contre la vérité, les crimes de quelques soldats, les généralisations des Gohier et des Hervé, rattachent à l’Affaire ces sophismes, imbéciles ou scélérats, où Jaurès ne voit « un objet de scandale que pour les esprits faibles[1] ». Dans l’avant-garde du socialisme internationaliste, l’âme même de la patrie a péri. Hervé écrit : « Les patries actuelles ne sont pas pour nous des mères, mais des marâtres, d’ignobles mégères que nous détestons… Il nous est parfaitement indifférent d’être Français ou Allemand… Les guerres civiles sont les seules guerres où les peuples aient quelque chose à gagner. Toute guerre est criminelle ; à l’ordre de mobilisation, vous répondrez par la grève immédiate et par l’insurrection… Marcherez-vous pour défendre la frontière du capital, le patrimoine des riches ? Vous ne devez à la patrie ni dévouement ni obéissance. » Nécessairement, en cas de grève, de conflit entre les ouvriers et la troupe, les soldats refuseront de « décharger leurs fusils » ; « ils ne tireront pas sur les camarades, mais sur les soudards galonnés qui oseront leur donner de pareils ordres[2] ». L’impudente propagande sévit dans les écoles, chez les instituteurs, pénètre aux casernes. Mais tous les républicains se jettent au travers, radicaux comme modérés ; sauf Jaurès, tous les promoteurs de la Revision, surtout Clemenceau et moi ; la majorité des socialistes s’effraye d’avoir attisé le feu. Briand, hier, défendait Hervé devant le conseil supé-

  1. Discours du 27 mai 1905, prononcé à une conférence d’Hervé, présidée par Jaurès.
  2. Appel de la Fédération anti-militariste aux conscrits (octobre 1905).