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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

sion. On applaudit quand on approuve et l’on siffle quand on désapprouve. Si j’en essayais la description, je n’aurais jamais fini. J’ai dîné ce jour-là avec le président, et lui ai dit franchement qu’il était impossible qu’une telle cohue gouvernât le pays. On a tout bouleversé. Le pouvoir exécutif n’est plus qu’un mot. Presque toutes les fonctions étant électives, personne n’obéit. C’est une anarchie dont on ne peut se faire une idée, et ils seront obligés de reprendre leurs chaînes au moins pour quelque temps. Tel est l’esprit de licence, auquel on donne le noble nom d’amour de la liberté. Leurs littérateurs ont la tête tournée par des notions romantiques ramassées dans des livres ; ils sont trop grands pour abaisser leurs regards sur le genre humain tel qu’il existe, et se croient trop sages pour suivre les préceptes de sens commun et de l’expérience ; aussi ont-ils tourné la tête de leurs concitoyens, pour se jeter sur une sorte de constitution à la Don Quichotte, comme celle dont vous êtes pourvus en Pensylvanie. Inutile d’en dire plus long. Vous jugerez des effets que peut produire cette constitution sur un peuple absolument dépravé. »


19 octobre. — J’apprends aujourd’hui le résumé de la conversation de Canteleu avec M. Necker au sujet de la dette des États-Unis en France. Celui-ci demande un million de louis, ce que je crois exagéré, et dit qu’il ne peut penser à présenter au public un contrat dont il tirerait moins de vingt-quatre millions. L’après-midi je vais au Bois de Boulogne en voiture avec Mme de Flahaut, mais nous nous arrêtons à la barrière, parce que nous n’avons pas de passe-ports. Nous faisons une courte visite au couvent. Mon amie se désole beaucoup de la perte de ses revenus. La diminution des affaires de son frère, qui est surintendant des bâtiments royaux, lui en enlève une partie ; 4,000 livres qui étaient dues par le comte d’Artois disparaissent avec Son Altesse Royale. Il ne lui reste donc que 12,000 livres ;