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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

sont envoyées enjoignant à ses gardiens à Boulogne de le relâcher. La conversation arrive graduellement aux affaires d’Amérique et je dis, ce qui est vrai, que l’on a commis une erreur en n’envoyant pas de ministre en Amérique. On désire ardemment me convaincre qu’une alliance avec la Grande-Bretagne ne pourrait que nous profiter ; j’avale leurs arguments et les observations de façon à faire croire que je suis convaincu, ou du moins en voie de l’être. Le jeune homme pense qu’il a fait des merveilles. De là je vais au Louvre, quoique j’eusse décidé le contraire. Le cardinal de Rohan est avec Mme de Flahaut. Nous parlons entre autres choses de la religion, car le cardinal est très dévot. Il était autrefois l’amant de la sœur de Mme de Flahaut et fut beaucoup aimé. Il assure que le roi n’est pas aussi fou qu’on le croit et donne des exemples à l’appui ; mais le cardinal n’a pas autant de bon sens qu’on le supposait ; il ne faut donc pas accepter aveuglément son témoignage. Peu après le départ du cardinal, M. de Saint-Venant arrive et je prends congé.

J’ai écrit aujourd’hui à Robert Morris. « Je suis persuadé, lui dis-je, que le gouvernement de ce pays ne doit plus ressentir d’inquiétude au sujet des subsistances avant de prendre les mesures nécessaires à l’ordre qui est indispensable. Tout ici est pour ainsi dire disloqué. L’armée est indisciplinée et n’obéit plus ; les magistrats civils sont annihilés, les finances déplorables. L’on n’a aucun système défini pour faire face aux difficultés, mais l’on vit d’expédients et l’on est à la merci des inventeurs de projets. Un pays dans cet état peut connaître la disette dans une province, tandis qu’une autre souffrira de l’abondance. Le désordre est partout. Je n’ai assisté qu’une fois aux délibérations de l’Assemblée nationale depuis septembre. Cette seule fois a complètement satisfait ma curiosité. Il est impossible d’imaginer plus de désordre dans une assemblée : nul raisonnement, nul examen, nulle discus-