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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

de mépris, il en résultera forcément une situation nouvelle ; si elle garde la confiance du public, elle seule peut rendre au pays sa santé et sa tranquillité ; en conséquence, aucun particulier ne peut faire de bien en ce moment. Il dit redouter que quelques-uns ne soient trop emportés et n’aient recours à une opposition armée. Je réponds que ceux qui seront assez fous pour cela devront subir les conséquences de leur témérité, qui leur sera fatale à eux et à leur cause, car une telle opposition, lorsqu’elle réussit, ne fait que confirmer le principe d’autorité. Ce jeune homme veut s’occuper des affaires de l’État, mais il n’a pas encore lu le livre de l’humanité ; c’est peut-être, comme on le dit, un bon mathématicien, mais c’est sûrement un bien mauvais homme d’État. M. Le Normand que j’ai vu aujourd’hui considère la banqueroute de l’État comme inévitable et regarde une guerre civile comme la conséquence nécessaire.


10 novembre. — J’apprends par M. Richard que le duc d’Orléans a offert à Beaumarchais 20 pour 100 pour un prêt de 500,000 francs, et que depuis il s’est adressé à sa banque pour un prêt de 300,000 francs, mais dans les deux cas sans succès ; la banque est tellement à court d’argent, qu’on ne sait pas où donner de la tête. Je vais chez Mme de La Tour ; j’arrive en retard, mais heureusement le comte d’Affry et l’évêque d’Autun arrivent encore plus tard. Le dîner est mauvais et la compagnie trop nombreuse pour la table. Tout est ennuyeux ; peut-être cela vient-il en grande partie de moi-même. Je vais avec le comte d’Affry à la représentation de Charles IX, tragédie sur le massacre de la Saint-Barthélemy. Il est extraordinaire qu’une telle pièce soit représentée dans un pays catholique : l’on y voit un cardinal excitant le roi à violer ses serments et à massacrer ses sujets, puis, dans une réunion des assassins, bénissant leurs épées, les absolvant de leurs crimes et leur promettant le bonheur éternel, et tout cela avec les