Aller au contenu

Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

25 décembre. — M. de Moustier me dit aujourd’hui qu’on a procédé hier soir à quelques arrestations par suite d’un complot ourdi pour l’assassinat de M. de La Fayette, de M. Bailly, de M. Necker, et pour l’enlèvement du roi en Picardie. Je ne crois pas un mot du complot. Il servira toutefois certains projets de ceux qui l’ont inventé. De Moustier me dit encore que Necker est prêt à accepter mon offre, et vante beaucoup ses propres services dans l’affaire, services que je sais estimer à leur juste valeur. La conversation de cette nuit de Noël chez Mme de Chastellux est raisonnable, mais non marquante. La comtesse de Ségur rapporte que M. Dufresne, la main droite de M. Necker, proclame que son chef n’est pas à la hauteur de sa situation. La duchesse arrive ainsi que M. Short. Je lui raconte combien de Moustier est pressé de montrer son utilité à l’Amérique, et que certainement si le plan réussit, ce sera grâce à lui, à Parker et à moi. Je vais souper chez Mme de Guibert. Après souper, la conversation tombe sur le Dauphin, père de Louis XVI, et sur le duc de Choiseul, ce qui nous amène à parler de poisons. M. de Laborde mentionne une sorte de poison bien extraordinaire, qui serait très connue et détaillée dans les dictionnaires de médecine. Elle consiste à engraisser un porc avec des portions d’arsenic puis à en distiller la chair, ce qui donne une eau empoisonnée, d’effet lent mais sûr. Il en appelle au comte de Thiard de la vérité de ce fait extraordinaire. Une dame à la cour demanda un verre d’eau. On l’apporta et elle le but. Tout aussitôt elle fondit en larmes, se déclarant empoisonnée, et dit au roi : « C’est ce misérable » (indiquant quelqu’un de sa suite) « qui a fait cela ». Le roi la railla à ce sujet, mais elle s’en alla profondément inquiète et mourut dans la huitaine. Dans l’intervalle, la personne qu’elle avait désignée demanda la permission d’aller s’occuper de ses affaires en Savoie ; elle partit et l’on n’en entendit plus jamais parler. — Nous abordons ensuite le