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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

grâce que d’esprit. Mais son style en parlant est trop bon pour que son style d’écrivain soit aussi mauvais que celui que Mme de La Motte lui a attribué. La nouvelle pièce donnée ce soir à la Comédie est très applaudie, bien que très mauvaise. C’est, cependant, la mode. Le but est de ridiculiser, ou plutôt de prêcher contre les préjugés subsistant contre la famille et les relations d’un homme qui a été pendu. Un Lord Anglais est le prédicateur ; il prend dans le recueil des lois anglaises un texte qui ne s’y trouve pas, et, au moyen d’antithèses et autres figures de rhétorique, remplit l’auditoire d’une satisfaction que ne fait qu’augmenter l’extravagante autant que judicieuse déclamation des acteurs — judicieuse, parce qu’une action naturelle laisserait percer les défauts de la pièce, actuellement cachés par les éclats de voix.


21 janvier. — Tandis que je me promène aujourd’hui aux Champs-Élysées avec le comte Dillon, on entend un coup de pistolet ; Dillon suppose que c’est un duel, car il y en a pas mal depuis quelque temps. Cette idée me fait rire, mais bientôt nous voyons un homme emmené par une troupe de soldats ; en nous approchant, nous apprenons qu’il a tenté de se suicider, mais il a si mal visé que la balle entrée par le front est sortie par le sommet de la tête. Le soldat déclare ignorer qui il est, et ajoute que, quand on a tout perdu sans qu’il y ait de sa faute, la meilleure chose à faire est de se tuer. Je vais ensuite au Louvre et n’y reste que quelques minutes ; M. le vicomte de Saint-Priest est là. Je dîne avec la duchesse d’Orléans ; l’évêque d’Orléans se trouve présent. Cet évêque semble être de la classe de ceux dont les plus sincères prières sont pour la bonne chère, et, à en juger par sa manière de parler, il semble attacher plus d’importance à parler qu’à dire la vérité. Je vais au Louvre. Immédiatement après moi, arrive l’évêque d’Autun qui ne paraît pas du tout content de me trouver là. Son espoir de se procurer un million s’est trouvé vain. On lui dit que