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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/207

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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

exprime le désir de partir en Amérique comme ministre plénipotentiaire, et me prie d’amener sa femme à donner son consentement, au cas où la place serait obtenue. Je promets de lui en parler. Je vais m’asseoir un moment avec Mme de Montmorin. Elle exprime sa conviction que La Fayette n’est pas à la hauteur de sa situation, ce qui est la vérité même. Elle dit que la reine ne consentira pas à nommer son mari gouverneur des Enfants de France, et que les aristocrates le détestent. À dîner, nous parlons de la pièce de ce soir, Brutus ; on s’attend à ce qu’elle occasionne des désordres. Après six heures, Bouinville et moi allons au théâtre. En quittant l’appartement, comme on suppose qu’il y aura trois partis dans la salle, je m’écrie d’un ton déclamatoire : « Je me déclare pour le roi, et je vole à la victoire. » Ne pouvant trouver de sièges, je me rends à la loge de d’Angivillers, où je découvre que l’on m’attendait, car j’avais promis de venir, puis je l’avais oublié. Lord Wycombe s’y est établi aux côtés de Mme de Flahaut, à la place que j’occupais autrefois. Sainte-Foy est là, en observateur rusé. Je me décide donc à les jouer tous les trois, et je pense avoir assez bien réussi. Je propose à Mme de Flahaut de faire croire au vieux renard qu’elle est attachée au jeune lord ; elle se récrie. Je la crois pourtant décidée à se l’attacher, et il peut se faire qu’elle se brûle les ailes à tournoyer autour de cette flamme. La pièce excite beaucoup de bruit et de disputes, mais il est clair que le parterre, rempli de démocrates, obtient la victoire ; puis, l’ayant obtenue, il crie pendant plus de dix minutes : « Vive le roi ! » Après la pièce, l’on propose de placer le buste de Voltaire sur la scène et de le couronner ; l’on procède à cette cérémonie, au milieu d’acclamations répétées. Pour l’amusement de notre parti, j’écris les lignes suivantes :

« Voyez ! La France, drapée dans le gai manteau de la liberté, dédaigne son ancienne condition, mais elle est