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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/212

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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

26 novembre. — Je vais chez La Fayette et cause avec lui environ une demi-heure. Il me demande ce que je pense de la situation. Je le lui dis sans ménagement, et en m’écoutant il pâlit. Je lui déclare que l’heure approche où tous les honnêtes gens devront se grouper autour du trône ; que le roi actuel est très précieux à cause de sa modération, et que, même s’il jouissait d’un pouvoir excessif, on pourrait lui persuader d’accorder une Constitution convenable ; que ce que l’Assemblée a rédigé sous le nom de Constitution n’est bon à rien ; que pour lui-même, sa situation personnelle est délicate, qu’il commande les troupes de nom, mais pas de fait ; que je ne puis réellement dire comment il faut les discipliner, mais qu’il sera perdu tôt ou tard s’il n’y parvient pas ; que la meilleure ligne de conduite serait peut-être de prendre occasion d’un acte de désobéissance et d’abdiquer ; de cette façon, il conserverait en France une réputation qui serait précieuse, et utile plus tard. Il répond qu’il ne doit son élévation qu’aux circonstances et aux événements, de sorte que, quand les désordres cessent, lui-même tombe, et la difficulté est de savoir les faire surgir. Je prends soin que pas le moindre mouvement ne témoigne mon mépris et mon dégoût, mais je fais simplement observer que les événements surgissent assez vite d’eux-mêmes s’il sait en tirer profit, ce dont je doute, parce que je n’ai aucune confiance en ses troupes.

Il me demande ce que je pense d’un plan en discussion au sujet des évêques protestataires, celui de supprimer leur temporel. Je lui dis que l’Assemblée doit les mettre à la porte tout nus si elle veut que le peuple les habille. Il répond qu’il redoute un peu cette conséquence. Je lui reparle de la nécessité de rétablir la noblesse ; il recule naturellement et dit qu’il voudrait avoir deux Chambres comme en Amérique. Je réplique que la Constitution américaine ne conviendrait pas à ce pays-ci, et que deux