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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/363

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APPENDICE.

sont bons qu’à y être renvoyés. Marmontel est le seul que j’aie rencontré parmi leurs littérateurs semblant vraiment comprendre cette question ; quant aux autres, ils ne discutent rien à l’Assemblée. Une grande moitié du temps est employée à crier et à hurler (c’est leur manière de parler). Ceux qui désirent parler inscrivent leurs noms sur un tableau, et ils sont entendus dans l’ordre où les noms sont écrits, si les autres veulent les écouter, ce qu’ils refusent souvent de faire, en causant un tumulte ininterrompu jusqu’à ce que l’orateur quitte la tribune. Celui qui est autorisé à parler expose le résultat de ses élucubrations, si bien que les partis contraires tirent aussi leurs cartouches, et il y a un million de chances contre une pour que les arguments qu’on s’envoie à la tête ne se rencontrent pas. Ces arguments sont généralement imprimés ; on recherche donc autant des arguments solides et bien présentés, que des arguments instructifs ou convaincants. Mais il y a une autre cérémonie que les arguments ont à subir et qui ne manque pas d’en affecter au moins la forme, sinon la substance. Ils sont lus à l’avance dans un petit groupe de jeunes hommes et de jeunes dames, dont fait généralement partie la belle amie de l’orateur, ou la belle dont il veut faire son amie. Très poliment l’assistance donne son approbation, à moins que la dame qui donne le ton à ce cercle n’ait quelque chose à reprendre ; dans ce cas, le passage est changé sinon amélioré. Ne supposez pas que je joue au voyageur. J’ai assisté à quelques-unes de ces lectures, et je vais vous raconter une anecdote. J’étais chez Mme de Staël, la fille de M. Necker. C’est une femme d’un esprit merveilleux, et au-dessus des préjugés vulgaires de tout genre. Sa maison est une sorte de temple d’Apollon où les gens d’esprit à la mode se réunissent deux fois par semaine pour souper et une fois pour dîner, quelquefois même plus souvent. Le comte de Clermont-Tonnerre (l’un de leurs plus grands orateurs) nous lit un très pathétique discours tendant à prouver que, les châtiments étant la compensation légale des injustices et des crimes, un homme qui a été pendu, ayant de cette façon payé sa dette à la société, doit cesser d’être méprisé ; semblablement,