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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/366

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APPENDICE.

servant à propos, il regagnerait son autorité ; mais que peut-on attendre d’un homme qui, dans sa situation, mange, boit et dort bien, qui rit et est le gaillard le plus gai du monde ? Il est entièrement satisfait de savoir qu’on lui donnera de l’argent quand on pourra faire des économies, et qu’il n’aura pas de mal à gouverner. Pauvre homme ! il réfléchit peu à l’instabilité de sa situation, il est aimé, mais non de la sorte d’amour qu’un monarque devrait inspirer ; c’est plutôt la pitié compatissante éprouvée pour un prisonnier qu’on emmène. Il est, de plus, impossible de le servir, car au moindre signe d’opposition, il abandonne tout et tous. Parmi les ministres, le comte de Montmorin est plus intelligent qu’on ne le croit généralement ; ce qu’il veut est bon, très bon, mais sa volonté est faible. C’est un homme bon et doux, qui ferait un excellent ministre pacifique dans des temps tranquilles, mais il lui manque la vigueur nécessaire aux grandes occasions. Le comte de La Luzerne est un compagnon indolent et agréable, un homme d’honneur têtu à souhait, mais il croit, avec le général Gates, que le monde fait une grande partie de ses affaires, sans l’aide de ceux qui sont à sa tête. Le succès de pareilles gens dépend beaucoup d’un coup de dés. Le comte de Saint-Priest est le seul parmi eux possédant ce qu’ils appellent du caractère, correspondant à notre idée de fermeté, jointe à une certaine activité ; mais quelqu’un le connaissant bien (ce qui n’est pas mon cas) m’assure qu’il est mercenaire et faux ; si cela est vrai, il ne peut pas avoir beaucoup de bon sens, quels que puissent être son génie ou ses talents. M. de La Tour du Pin, que je connais à peine, est bien mal partagé sous ce rapport, me dit-on. C’est la peur des enragés qui a poussé M. Necker à l’accepter au lieu du marquis de Montesquiou, qui a énormément de talents, et beaucoup de méthode. Montesquiou est naturellement devenu l’ennemi de M. Necker, après avoir été son ami.

Quant à M. Necker, c’est un homme qui a obtenu une bien plus grande réputation qu’il ne mérite. Ses ennemis disent que, comme banquier, il a acquis sa fortune par des moyens que l’on dit indélicats, pour parler modérément, et ils en donnent des exemples. Mais dans ce pays tout est si