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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/367

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APPENDICE.

exagéré que rien n’est plus utile qu’un peu de scepticisme. Dans son administration publique, M. Necker a été toujours honnête et désintéressé, ce que je considère comme un garant de sa conduite d’autrefois, comme particulier, ou bien cela prouve qu’il a plus de vanité que de cupidité. Quoi qu’il en soit, son intégrité sans tache comme ministre, et le fait de servir à ses frais dans un emploi que d’autres recherchent pour s’y enrichir, lui ont acquis une grande confiance des plus méritées. Ajoutez à cela que ses écrits financiers débordent de cette espèce de sensibilité qui fait la fortune des romans modernes, et qui convient bien à cette nation enjouée, aimant la lecture mais haïssant la réflexion. De là sa réputation. C’est un homme de génie, et sa femme, une femme de bon sens. Mais l’un et l’autre manquent de talents ou, plutôt, des talents d’un grand ministre. Son éducation de banquier lui a appris à ne traiter que des affaires sérieuses, et l’a mis en garde contre des projets. Bien que comprenant l’homme comme une créature cupide, il ne comprend pas l’humanité, et c’est un défaut irrémédiable. Il ignore complètement aussi la politique, je veux dire la politique au sens large du mot, c’est-à-dire cette science sublime qui prend pour but le bonheur de l’humanité. Il ignore, par suite, quelle constitution il faudrait rédiger, et ne sait comment amener les autres à consentir à ses désirs. Depuis la réunion des États généraux, il a flotté à la dérive sur l’immense océan des incidents. Mais le plus extraordinaire est que M. Necker est un financier très inférieur. Je sais que cela semblera une hérésie à bien des gens, mais c’est la vérité. Les plans proposés par lui sont faibles et ineptes ; jusqu’ici il s’est soutenu en empruntant à la Caisse d’Escompte, qui (étant à l’abri de toute poursuite parce que l’on appelle ici un arrêt de surséance), lui a prêté en papier une somme supérieure d’environ quatre millions de livres sterling à son capital tout entier. L’automne dernier il se présenta à l’Assemblée, en racontant une lamentable histoire, tout au bout de laquelle était un impôt d’un quart sur le revenu de chaque membre de la communauté, impôt qu’il déclarait nécessaire au salut de l’État. Ses ennemis l’ont adopté (en déclarant, ce qui est vrai, que c’est un expédient mauvais et impraticable) dans