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Page:Journal de Gouverneur Morris.djvu/50

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JOURNAL DE GOUVERNEUR MORRIS

11 mai. — Je vais passer la soirée chez Mme de Chastellux. Elle reçoit un message de la duchesse ; elle lui répond que je suis là et que je l’ai chargée d’une commission. Cette commission consiste à remercier pour moi Son Altesse royale, qui a eu la bonté de m’envoyer à Versailles un billet d’admission pour l’ouverture des États généraux. Peu après, la duchesse arrive, disant qu’elle est venue exprès pour me voir ; elle me parle de mon excursion hors de Paris, et espère me voir souvent chez Mme de Chastellux ; elle regrette de ne pouvoir s’attarder, devant sortir avec Mme de Chastellux pour faire quelques visites. Je ne puis répondre que par des regards et des gestes qui expriment une profonde humilité, et toute ma reconnaissance pour l’honneur qui m’est fait. De fait, ma langue ne s’est jamais suffisamment exercée à ce jargon, et elle demande toujours à mon cœur ce qu’elle doit dire ; tandis que ce dernier, après en avoir délibéré, demande conseil à ma tête, le bon moment est passé. Comme je crois comprendre Son Altesse royale, et que je suis suffisamment gardé du côté de la vanité, il n’y en a plus qu’un autre à défendre, mais celui-là est fortifié. Elle a peut-être les plus beaux bras de France ; machinalement elle se dégante, et elle a toujours un prétexte pour se toucher la figure, de façon à bien faire ressortir sa main et son bras. — Je vais chez Mme Dumolley qui joue aux échecs. Mme Cabarrus vient et je lui dis que c’est la faute de La Caze si je ne suis pas allé lui présenter mes respects à son hôtel. Elle répond que je n’ai pas besoin d’introducteur. Elle a une belle main et de très beaux yeux, qui disent d’une façon très intelligible qu’elle est disposée à écouter chanter leurs louanges. Elle va partir à Madrid et sera heureuse de me voir ici comme là-bas. Je m’esquive sans attendre le souper et je rentre chez moi. La chaleur est extrême et va durer quelque temps probablement. Le printemps de l’Europe, si vanté par les habitants par amour ou par préjugé, et par